OPERA – L’Opéra Bastille affiche une nouvelle production de Lohengrin de Richard Wagner dans une mise en scène de Kirill Serebrennikov et placée sous la baguette du jeune chef Alexander Soddy.
Lohengrin : késako ?
Succédant à la production somme toute classiques signée par Claus Guth en 2017 avec Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, Kirill Serebrennikov livre une vision particulièrement sombre et tragique de cette nouvelle production de Lohengrin intensément marquée par les conflits militaires actuels et les horreurs qui en découlent. Elsa, traumatisée par la mort de son frère, est accusée devant le Roi de son meurtre. Elle se trouve accueillie dans une clinique psychiatrique dirigée par le couple terrible Telramund/Ortrud à l’origine de cette dénonciation calomnieuse. Assaillie en permanence par des démons et des visions infernales, le tout sur fond permanent de guerre, de batailles, de morts et de victimes marquées dans leur chair, Elsa se perd dans ses délires. Malgré le bonheur ressenti lors de l’arrivée du Chevalier au Cygne, Lohengrin, et par la vision de son prochain mariage, la jeune femme perd totalement la tête. Elle bascule dans une folie complète avant de mourir au départ de Lohengrin que ponctue le retour inespéré du frère, Godefroid, désigné nouveau Comte légitime de Brabant.

Lohengrin par Serebrenikov : vue globale
Cette superposition personnelle qui peu à peu vient s’affranchir du livret de Richard Wagner ne se fait pas sans heurts, Kirill Serebrennikov façonnant les personnages et leur représentation selon le schéma qu’il a élaboré, centré principalement autour du personnage d’Elsa et de sa propre vision pessimiste du monde actuel. De fait, le libérateur Lohengrin transformé en vision idéale par Elsa perd de son charisme habituel, tandis que le couple infernal, au-delà du talent des interprètes, apparaît un rien relégué et moins percutant qu’à l’habitude. Certes, le metteur en scène déploie des moyens scéniques imposants, mais le cloisonnement de la scène en plusieurs pièces complémentaires, sauf au 3ème acte, ne facilite pas le déplacement des choristes ici nombreux et certains personnages, comme le Roi Heinrich, demeurent bien statiques.

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Globalement, ce spectacle visuellement fort il faut en convenir avec ce panel de vidéos en différé ou en direct, ne peut laisser indifférent. Toutefois, il en ressort comme un sentiment de déjà vu et de répétition par rapport à de nombreuses autres productions présentées à l’Opéra National de Paris ces dernières années. Quelquefois sous couvert d’actualisation extrême et de relecture souvent psychanalytique, ces productions s’égarent dans des méandres qui ne facilitent guère la compréhension du public. Il fallait ici lire en amont du spectacle et avec une attention toute particulière les indications et orientations données par Kirill Serebrennikov dans le programme de salle pour mieux comprendre, voire apprécier, son approche de Lohengrin.
Bonheur musical : recension point par point

A la tête de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, Alexander Soddy délivre une lecture attentive et toute de juste clarté de la partition de Wagner, sans surcharge et parée d’une attention de chaque instant. Les Chœurs de l’Opéra démontrent une puissance et une homogénéité complètes sous la direction de leur cheffe, Ching-Lien Wu.

Le ténor d’origine polonaise Piotr Beczala s’impose comme un modèle à suivre en Lohengrin, d’une voix large et parfaitement timbrée, rayonnante, attentive au legato et aux nuances. A ses côtés, Johanni van Oostrum incarne une Elsa à la belle ligne de chant, un peu timide dans les accents, même si la voix paraît un peu mince pour complétement emplir la salle de l’Opéra Bastille. Par contre, elle s’investit sans limite dans le personnage d’Elsa tel que conçu par le metteur en scène, dans toute sa dimension dramatique.

Wolfgang Koch demeure un Telramund tourmenté et puissamment théâtral tandis que Nina Stemme n’a pas besoin de forcer le trait pour incarner Ortrud. Cette voix glorieusement wagnérienne comble par son intensité, ses aigus tranchants et glacials, sa dimension maléfique. Remplaçant au pied-levé Kwangchul Youn souffrant, la basse Tareq Nazmi confère toute sa majesté au personnage du Roi d’une voix puissante et d’une grande densité. Très beau Hérault juste et prenant de Shenyang.
Au baisser de rideau, le public a justement salué par des ovations vibrantes l’ensemble des interprètes, notamment le chef et son Orchestre, ainsi que les Chœurs. L’accueil réservé à Kiril Serebrennikov et ses collaborateurs devait s’avérer plus partagé, mais pas totalement négatif pour autant.