AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueBerlioz : règlement de conte à l'Opéra de Rennes

Berlioz : règlement de conte à l’Opéra de Rennes

OPERA – Pour la première fois de son histoire, l’Opéra de Rennes accueille une production d’un opéra d’Hector Berlioz en version scénique : l’opéra-comique Béatrice et Bénédict, sous la baguette de Sascha Goetzel et dans une mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau. 

Le clan des Siciliens

Dans ses mémoires, Berlioz estime que, si on enlève les grands airs et duos de la partition, il subsiste « beaucoup de broussailles et que le dialogue parlé manquait d’esprit. » Il précise cependant que ce dialogue est presque en entier copié sur l’œuvre qu’il l’a inspiré, Much ado about nothing (beaucoup de bruit pour rien), de William Shakespeare. Pierre-Emmanuel Rousseau se confronte donc à un livret pas très bien agencé et une œuvre quelque peu disparate.

Exit les allusions guerrières de la pièce théâtrale et du livret. L’action est transposée au 20E siècle, dans le milieu de la Mafia sicilienne. Le sujet est sensible, un tant soit peu incompatible avec l’omerta, cette fameuse loi du silence qui ne veut pas être trop… bruyante. Cependant, l’idée est intéressante puisque, pour justifier leurs guerres intestines, l’argument des mafieux était le suivant : les soldats se tuent sur le front et on ne dit pas que ce sont des assassins. Convaincus d’avoir les mains propres, la religion était aussi là pour se faire pardonner. Est-ce pour cela que le maître de musique prend les traits d’un prêtre dans cette transposition? 

Un mariage dans la Mafia, ça vous rappelle quelque chose ? © Bastien Capela – ANO

La mise en scène donnerait presque  raison à Berlioz, affirmant qu’elle « n’exige aucune dépense pour le metteur en scène » tant elle est cheap et kitch à souhait : du sable, quelques guirlandes lumineuses, une piste de danse avec sa boule à facette, une statue de Sainte que l’on porte en procession. 

Cheveux gominés et chemise noire pour Benedict, robe bling bling pour Béatrice en référence aux protagonistes du film l’Honneur des Prizzi, allusion à la chanteuse Régine, la reine de la nuit pour le personnage d’Ursule. Le dialogue parlé est actualisé avec quelques trouvailles qui font rire le public, comme cette réplique du maître de musique à l’égard du chef de la Mafia « mon Général, je vous ai compris » (de Gaulle), ou « le cœur a ses raisons que la raison ignore » (Pascal) sans oublier une allusion au Clair de lune à Maubeuge (Bourvil) lors d’une scène nocturne. 

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Comme précédemment dans le Comte Ory (Rossini), Pierre-Emmanuel Rousseau propose une lecture décalée misant sur le comique et le vaudeville avec une mécanique propre à ce genre. Cependant, cette mise en scène n’est pas aussi aboutie, avec des clichés parodiques simplement esquivés et des personnages dont le portrait, au final, reste conventionnel. 

Les affranchis du dance floor © Bastien Capela – ANO
La fièvre du samedi soir ? 

Pas de surprise dans cette mise en scène qui ouvre l’opéra par la célébration d’une noce, annonçant d’emblée le dénouement de l’intrigue : un double mariage dont l’un pas franchement consenti. Traitées dans l’esprit d’une comédie musicale et d’un marivaudage, de nombreuses scènes sont dansées et festives. Le metteur en scène exploite les qualités des danseurs et des membres du chœur d’Angers-Nantes Opéra, dont la plupart avait bénéficié, en 2022, des conseils du chorégraphe Mickaël Phellipeau, avec qui ils avaient travaillé pour Sans Orphée ni Eurydice.  Même s’ils sont investis et « s’éclatent » en enchaînant slows, madisons, valses et chenilles, ils  n’enflamment pas le dance-floor de la scène rennaise. Le chœur est musicalement de bon niveau mais il reste qu’ils ne sont pas encore des danseurs de Broadway ! Ça manque un peu de rythme et d’audace, mais l’esprit est bon enfant.

Point par point : Une affaire de femmes 

Face à la mafia masculine et impitoyable, les femmes assument librement leur choix et expriment à travers leurs airs, duos et trios qui leur sont dédiés, l’épanouissement de leur amour. Elles construisent l’intrigue et surtout ce sont elles qui engendrent l’émotion. 

Mafiosi, mafiose… © Bastien Capela – ANO
  • La soprano Olivia Doray incarne Héro et affirme son amour pur pour Claudio. La voix est lumineuse, nuancée, le vibrato est présent mais exempt de tout pathos. Avec agilité et aisance, elle assure une cascade de vocalises à cappella lors de son premier air Je vais le voir.  
  • Marie-Adeline Henry campe une Béatrice tempétueuse, au caractère bien trempé. La voix est bien projetée avec un medium riche, une palette de nuances révélée dans son grand air Il m’en souvient, toutefois perturbée par des aigus agressifs. 
  • Marie Lenormand, de sa voix de mezzo irisé de tendres couleurs moirées, assure le rôle d’Ursule. Même si la voix s’harmonise avec celle d’Olivia Doray dans le fameux duo Vous soupirez, Madame, elle manque un peu de densité dans le registre grave, plus destiné à une voix d’alto. 
  • Côté homme, la prestation du ténor Philippe Talbot dans le rôle de Benedict est fragilisée par une émission serrée et un manque de projection malgré une diction soignée. Le fringant Bénédict semble absent à lui-même. 
  • Dans les rôles plus mineurs de Claudio et de Don Pedro, le baryton Marc Scoffoni  et la basse Frédéric Caton s’amusent visiblement et leurs interventions ne manquent pas de panache. 
  • Poussant plus loin la truculence, Lionel Lhote de sa voix sonore et timbrée, est un maître de chapelle bénéficiant du concours d’un chœur réactif, autant dans le grotesque chant nuptial Mourez, tendres époux » que dans le chœur à boire Le vin de Syracuse.
L’Honneur de Goetzel
Sascha Goetzel © Bastien Capela – ANO

L’orchestre, principal protagoniste de cet opéra, nous plonge au cœur de  ce « caprice écrit à la pointe d’une aiguille », selon les propres mots de son auteur qui aimait dire qu’il jouait  de l’orchestre avant tout ! L’écriture orchestrale audacieuse, restituée avec brio par Sacha Goetzel, le chef de l’Orchestre des Pays de Loire, ce soir à la tête de l’Orchestre de Bretagne. Il est toujours soucieux du texte et du déroulé dramatique et souligne l’originalité de l’écriture de Berlioz en créant une variété d’ambiances et de climats différents, allant de la légèreté à la gravité. Un large éventail d’instruments se déploie, dont certains sont plutôt inhabituels pour l’opéra, comme l’ophicléide, auquel se joignent guitare et tambourin pour une couleur locale. 

Pour cette dernière, le public est venu nombreux et remercie l’ensemble de la production par des applaudissements chaleureux et soutenus.  

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