COMPTE-RENDU – Samedi 18 novembre, le Metropolitan Opera de New York diffusait en direct, depuis de nombreuses salles de cinéma du monde entier, l’opéra X : The Life and Times of Malcolm X (X : la vie de Malcolm X). Un opéra de grande ampleur retraçant le destin tragique d’un des plus influents militants radicaux des droits civiques afro-américains.
Une histoire édifiante
Malcolm X, né Malcolm Little, aussi connu sous le nom d’Al-Hâjj Mâlik al-Shabazz, naît le 19 mai 1925 à Omaha (Nebraska), dans une des plaines centrales du Midwest américain. Son père, Earl Little, est un un prêcheur baptiste convaincu, qui prône le retour des Afro-américain en Afrique, notamment au Liberia. En 1931, Earl est renversé mortellement par un tramway. Malcolm se demandera toujours comment son père a pu s’assommer en se frappant le crâne puis rejoindre les rails du tramway pour se faire écraser…
Brillant élève, il aspire à devenir avocat mais quitte le système scolaire quand un de ses professeurs lui dit que ses aspirations ne sont pas réalistes pour un nègre. En 1943, il emménage à New York, où il trouve un travail de cireur de chaussures. Il participe à des activités de revente de drogue, de jeu, de racket et de cambriolage et se fait arrêter en 1946. En prison, il intègre Nation of Islam, une organisation marquée par trois thématiques principales : une forme très hétérodoxe d’Islam, un vigoureux nationalisme noir (revendication d’un État pour les Noirs dans le Sud des États-Unis) et un total rejet des Blancs, considérés comme l’incarnation du démon sur la Terre. Un de ses dirigeants, Elijah Muhammad, devient un de ses mentors.
Assez rapidement, il change son nom de famille pour « X », expliquant que ce nom représentait le rejet de son « nom d’esclave », en l’absence de son nom d’origine africaine. Véritable tribun, il devient un des porte-voix principaux de Nation of Islam, acquérant également une renommée nationale. Peu à peu il s’écarte de Nation of Islam, du fait de son combat plus politique que religieux. En 1964, il quitte le mouvement.
Le 21 février 1965, alors qu’il prononce un discours dans l’Audubon Ballroom, à New York, il est assassiné par trois personnes qui tirent sur lui à bout portant. Le FBI est soupçonné d’avoir encouragé cet acte. Des membres de Nation of Islam sont accusés et inculpés, pour finalement être innocentés par la Cour suprême de New York, le 18 novembre 2021.
X : The Life and Times of Malcolm X, une histoire de famille
L’année de l’assassinat de Malcolm X, paraît The Autobiography of Malcolm X, une série d’entretiens entre le militant des droits afro-américains et le journaliste Alex Haley. Christopher Davis, alors étudiant, a l’idée d’en faire un opéra. Il en parle à son frère, le pianiste de jazz et compositeur Anthony Davis, qui envisage l’écriture d’un opéra de grande envergure, d’inspiration wagnérienne. Pour rester en famille, c’est leur cousine, la poétesse, romancière et journaliste Thulani Davis, qui en écrit le livret. De cette collaboration naissent 12 tableaux : l’enfance pauvre de Malcolm, à l’époque de la Grande dépression, son adolescence dans la pègre, son séjour en prison, sa rencontre avec Elijah Muhammad, son action avec Nation of Islam, ses prises de position au moment de l’assassinat de JF Kennedy, son pèlerinage à La Mecque, son éviction de Nation of Islam ou encore son assassinat. En 1986, l’opéra X : The Life and Times of Malcolm X voit le jour. En 2023, il fait son entrée au répertoire du Metropolitan Opera de New York.
Retrouvez ici la recension qu'en fit notre consœur d'Ôlyrix, qui y assista depuis la salle du Metropolitan Opera : Malcolm X fait son entrée au Met
Une musique puissante et hypnotique
La musique de cet opéra est puissante, hypnotique, souvent incantatoire et faisant appel à de nombreuses références : Wagner pour l’ampleur du propos, surtout lyrique, Berg, gamelan indonésien, percussions indiennes, rythmes africains, musique afro-américaine, allusions au jazz, avec une petite place laissée à l’improvisation, notamment pour la trompette de Amir Elsaffar. Un rythme général de be-bop sous-tend l’œuvre, à grand renfort de guitares électriques et de batterie. Les intervalles sont souvent disjoints, formants des pics qui maintiennent une tension mélodique permanente. Vous l’aurez compris, le propos général est âpre et rugueux, « à l’os », pour revendiquer une identité musicale et socio-culturelle proprement afro-américaine.
La partie vocale est assurée par un plateau très fourni, constitué de 23 personnes et soutenu par un chœur à la présence quasi permanente, commentant l’action ou surenchérissant le propos, à la façon d’un chœur antique. Se distinguent, parmi les solistes, le beau timbre de ténor, puissant et bien placé, de Victor Ryan Robertson, qui campe à la fois Street, caïd pour qui travaillait Malcolm, et le leader de Nation of Islam, Elijah Muhammad. Le baryton Will Liverman, en Malcolm X, est assez impressionnant de sobriété et de stature, servi par une voix fiable dans le tenuto et la diction. La soprano Leah Hawkins présente une belle présence scénique et théâtrale, même si sa voix, malgré sa puissance, peine un peu à s’imposer.
Plein les oreilles et plein les yeux
Si les oreilles sont servies, on en prend également plein les yeux, grâce à un dispositif scénique magistral de Robert O’Hara, qui vient défendre avec conviction cette idée d’une identité proprement afro-américaine.
Cela commence par d’impressionnants costumes afro-futuristes pour le choeur, dessinés par Dede Ayite. Le compte Instagram du Metropolitan Opera, @metopera, présente une vidéo de la réalisation d’un costume : https://www.instagram.com/p/Cz7dWYytUyG/
Cela continue avec une ellipse/soucoupe volante/drapé façon toque suspendue au-dessus de la scène, sur laquelle sont projetés des effets de couleur pixelisés ainsi que des mentions de lieu, des dates, des images d’archive, des extraits du Coran ou encore des passages de discours de Malcolm X.
Et ça continue, encore et encore, avec une dizaine de danseurs, aux fluides tenues blanches, commentant eux aussi l’action, dans un krump stylisé des plus efficaces.
Enfin, il convient de mentionner, présente durant la totalité du spectacle, une mini scène de théâtre, désuète, façon théâtre d’autrefois, avec ses rideaux rouges et son fond paint naïf représentant un paysage typiquement américain, comme tout droit sorti du film Et au milieu coule une rivière. Cette scène dans la scène, à l’intérieur de laquelle sont jouées des scènes intimistes (Malcolm et ses frères et sœurs, enfants, échange entre Malcolm et Betty…) ne laisse pas d’interroger sur sa présence. Tout s’éclaire lorsque l’on découvre que son fond peint reproduit celui de l’Audubon Ballroom, lieu de l’assassinat de Malcolm X, et que cette scène dans la scène préfigure une mort annoncée, comme un oiseau de mauvais augure.
Du grand spectacle sur grand écran
En 1992, quelques années après l’opéra, sortait le film Malcolm X, du réalisateur américain Spike Lee, avec l’acteur Denzel Washington dans le rôle principal :
L’actrice Angela Bassett y jouait le rôle de l’épouse de Malcolm X. Quelques années plus tard, le Metropolitan Opera eut la bonne idée de lui demander de présenter la rediffusion en direct de la représentation du 18 novembre dernier. Avec verve et talent, elle a introduit et conclu la séance, prenant également le temps d’interviewer les principaux protagonistes durant les deux entractes.
Au final, cette séance au cinéma Pathé, partenaire du Met pour cette série Met Live, aura duré trois heures cinquante, une durée somme toute correcte, avec un public content d’être là, comprenant suffisamment l’Anglais pour suivre attentivement les interviews en coulisses, et disant fièrement, à la fin, combien il avait aimé la mise en scène. Ce même public qui aura peut-être tout de même noté un léger déséquilibre entre l’orchestre et les voix, au détriment du plateau, de beaux plans larges de la salle et de la scène et des postures des chanteurs un peu trop statiques et majestueuses, au détriment d’une qualité de visionnage cinématographique.
Qu’à cela ne tienne : cette représentation de X : The Life and Times of Malcolm X était forte, puissante, obsédante même, tant par son sujet que par son traitement, et pouvoir y assister depuis son cinéma de quartier, tout en se croyant à New York y ajoutait une valeur indéniable !