ÉVÈNEMENT – La magie de Ravel s’incarne à l’Opéra de Paris avec un diptyque envoûtant, fusionnant ballet et opéra. Ma Mère l’Oye et L’Enfant et les Sortilèges offrent une plongée captivante dans les rêves d’enfance. Une soirée féérique où les plus jeunes découvrent la magie de la scène, tandis que les plus grands s’émerveillent devant les talents de l’École de Danse et de l’Académie de l’Opéra.
Ma Mère l’Oye : jardin zen
Rarement représentée en version ballet, Ma Mère l’Oye prend vie sous la vision du chorégraphe Martin Chaix, imaginée spécialement pour les élèves de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris ! Pour partager un univers plein d’innocence, voire naïf, il propose avec Camille Dugas un décor minimaliste fait de nuages lumineux aux allures d’origamis, en complicité subtil de Tom Klefstad aux lumières. Les jeunes danseurs, émergeant de ces nuages, revêtent des costumes qui semblent eux aussi faits d’élégants pliages de papier blanc. Aleksandar Noshpal réalise ainsi de beaux costumes dont les effets participent à caractériser le personnage, en plus de sa coiffe ou masque. Les jeunes interprètes, ainsi reconnaissables en Belle, Petit Poucet, Loup et autres, dansent avec une admirable légèreté et une grâce touchante. La scène finale, où les accessoires tombent et laissent se dévoiler les simples justaucorps immaculés, transporte le public dans un rêve éclatant de lumière.
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L’Enfant et les Sortilèges : jardin secret
Représentée environ tous les ans depuis 1998 à l’Opéra de Paris, La mise en scène de Richard Jones et Antony McDonald offre une vision contrastée mais tout aussi poétique. Toiles peintes et accessoires minimes définissent un rythme effréné en une succession de tableaux, comme dans un rêve. Les costumes, plus évocateurs que littéraux, donnent vie à des personnages hauts en couleur. Lors de la scène finale, le rideau montrant un collage de Colette et de Ravel insiste sur le portrait posé sur le piano ; il s’agit de celui de Marie Delouart, la mère adorée de Ravel, faisant un lien évident entre cet Enfant et le compositeur. Les costumes ne se veulent donc pas représenter explicitement un objet ou un animal mais plutôt leur caractère même ou leur évocation. Mettant ainsi davantage en avant les différents protagonistes, la vision allie comique et tragique des conséquences de la crise de cet enfant méchant.

Point par point : le jardin des voix
- Cornelia Oncioiu, au timbre plein et chaud, est ainsi d’élégantes Tasse chinoise et Libellule aux allures de femmes mondaines des années folles.
- Prêtant sa voix brillante au Feu (et au Rossignol), Emy Gazeilles est un ardant toréador entouré de flammes danseuses, dont la chorégraphie est signée Amir Hosseinpour.
- La noble Bergère au style Louis XV et la Chauve-souris sont incarnées par Boglárka Brindás, au timbre souple.
- La charmante Princesse, dont le corps est séparé en deux à cause de la crise de l’Enfant qui a déchiré le livre de son histoire, a la voix caressante de Teona Todua.
- Hilarante en femme sensuelle pour la Chatte et en nerveux Ecureuil, Amandine Portelli se fait surtout grande comédienne, montrant une aisance vocale dans sa manière de varier son timbre de voix.
- Sofia Anisimova fait entendre une voix douce et fine en Chouette et en Pâtre, répondant à la toute aussi délicate Sima Ouahman en Pastourelle.
- Le timbre de Ihor Mostovoi se fait idéalement noble en Fauteuil et l’Arbre d’Adrien Mathonat est fait large et sonore à souhait.
- Manquant un peu de texte en Horloge comtoise mais faisant preuve d’un timbre agréablement chaud, Andres Cascante se fait particulièrement drôle en marin costaud et macho pour incarner le Chat.
- Tout aussi à l’aise scéniquement, Tobias Westman en Théière (boxeur aux biceps énormes), Rainette et Arithmétique pourrait se faire un peu parfois plus sonore bien qu’agile.
- Last but not least : le rôle principal de l’Enfant, incarné par Marine Chagnon, offre un touchant air « Toi, le cœur de la rose » soutenu par un vibrato souple et un timbre assez rond et délicat.

Jardin d’enfants : les maîtrises et l’orchestre en harmonie
Les trente jeunes chanteurs issus de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris et de la Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris ajoutent une dimension vocale vibrante. Lors de la superbe scène de l’Arithmétique, ils font preuve d’une grande clarté de texte, très compréhensible car parfaitement ensemble, avec des gestes tout aussi efficaces. Sous la direction délicate, voire caressante, et surtout très fluide de Patrick Lange, la musique de Ravel est défendue avec de belles couleurs par l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. Les harmonies mystérieuses, aux couleurs parfois transparentes, laissent entrevoir un côté enfantin, avec une pâte moelleuse mais pas trop, lisse avec de justes touches d’aspérité, particulièrement dans les interventions solos dans Ma Mère l’Oye. Le début du Jardin féérique, apothéose du ballet, émeut grâce à la finesse des cordes.
Lors de cette soirée où la magie opère, unissant rêves d’enfants et virtuosité artistique, l’Opéra de Paris offre un hommage ensorcelant à l’innocence et à l’émerveillement, chaleureusement applaudi par petits et grands.