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Licht : Stockhausen vous fait aimer les dimanches

CYCLE OPÉRA – Événement immense à la Philharmonie de Paris : le cycle « Licht », ou la semaine de lumière de Karlheinz Stockhausen, entamé en 1978, a posé un nouveau jalon ce mois-ci, avec un Sonntag aus Licht (Dimanche de lumière) en deux spectacles, animés par Le Balcon, son chef Maxime Pascal, la Maîtrise de Paris, un plateau de solistes forts de leur amour pour le répertoire, et une mise en scène (si on peut encore l’appeler comme ça) signée Ted Huffman. Récit de deux soirs en pleine lumière.

Jeudi 16 novembre 2023

Ce Sonntag aus Licht nous est présenté un jeudi — ou un vendredi, au choix – pour ce qui est des deux premières scènes, le lundi suivant pour les trois autres. C’est très logiquement par le jeudi, Donnerstag, que Stockhausen a ouvert, à partir de 1978, l’année de ses cinquante ans, le vaste chantier de Licht, « lumière », grand projet lyrique en sept journées. Cette trentaine d’heures d’opéra l’aura occupé jusqu’en 2003. 

Le volet dominical, en cinq scènes, est la Célébration mystique de l’union d’Ève et Michaël, les deux personnages présentés lors des journées du Jeudi et du Samedi, auxquelles nous avions assisté respectivement en 2018 à l’Opéra Comique (mise en scène de Benjamin Lazar) et 2019 à la Cité de la Musique (création visuelle de Nieto) : à l’intérieur de la salle, mais aussi en deuxième partie sur le parvis de l’église Saint-Jacques-Saint-Christophe de l’autre côté du canal de l’Ourcq, sous le regard médusé des riverains et des agents de sécurité. 

En salle… © Denis Allard
Calendrier de l’après

Licht ne nous est pas présenté dans l’ordre des jours de la semaine, mais rien de grave : comme il s’agit d’un cycle, le dimanche appelle la semaine de lumière à recommencer. Si les sept plis de l’heptaptyque (triptyque à sept) obéissent chacun à des « recettes » différentes, accueillent l’électronique pour certains, la figure de Lucifer pour d’autres, l’œuvre est tout entière traversée par un même noyau musical unificateur. Dans Sonntag, l’esprit de rituel et l’expérience de voyages spirituels en Extrême-Orient sont ici, de plus, à leur apogée. 

À lire également : Freitag aus Licht, Stockhausen à la lumière de son passé

Ce jeudi, dans la salle où l’on avait vu Karlheinz Stockhausen en personne à la « projection du son » de ses propres œuvres, le public, on peut le regretter, n’est guère plus jeune et diversifié qu’alors. Les têtes de pont du Balcon, approchant tout doucement de la quarantaine, ont relevé le défi qui consistait à réutiliser les notes laissées par Stockhausen pour la mise en place musicale et la mise en espace, confiée à un maître new-yorkais du plateau, Ted Huffman (un Couronnement de Poppée à Aix, une Flûte Enchantée à Salzbourg, rien que ça…. Et prochainement Street Scene d’après Kurt Weill à Bobigny). 

Scène d’amour © Denis Allard
Orphée cherche Eurydice 

Depuis ses débuts vers 1600, l’opéra entend réveiller les morts par la musique. Le Stockhausen de Licht, bien décidé à renouer avec le projet wagnérien utopique d‘œuvre d’art total, ne déroge pas à la règle. « Waow… » s’exclame la spectatrice de ces Lumières-Eaux (Salut de dimanche) en réentendant Hubert Mayer (Michaël), ténor, en pleine possession de ses magnifiques moyens, déjà présent dans Dienstag en 2020, et en découvrant la sémillante soprano Michiko Takahashi (Ève), qui révèle l’étendue de son talent dans ses divines coloratures et une présence scénique captivante. Après que les instrumentistes, revêtus de différentes couleurs, ont ainsi fait tournoyer les timbres en présence du couple Ève-Michaël, les Processions d’anges de la scène 2 font se mouvoir l’arc-ciel tout entier, les éléments, terre et ciel, vie, musique et lumière, parmi un public époustouflé par la maîtrise polyphonique des tutti vocaux. La joie et l’union mystique sont célébrées par une assemblée chorale LGBTQIA+-friendly, aux tenues et maquillages non binaires et non genrées. À l’issue de la soirée, on verra Maxime Pascal en robe longue et tailleur à paillettes, tout abasourdi par ce qui vient de se passer, tenir la porte à un public plein de reconnaissance et d’admiration.

Gender fluid © Denis Allard

Lundi 20 novembre 2023

« Comment passe le temps… »

Dans ce couronnement du cycle, plus lumineux, plus porteur d’espoir et d’amour qu’est ce Sonntag, Stockhausen se montre à nouveau maître du temps et étaye sa cosmogonie. Le public est tout d’abord réuni dans la salle Pierre Boulez de la Philharmonie et se prépare, dès 19h00, à un spectacle de 4h30, entractes compris. La rumeur circule que le public sera ensuite séparé en deux entités, l’une d’elles quittera les lieux pour se rendre dans l’autre salle. On n’en sait pas davantage, sinon que la scène finale sera jouée deux fois. La scénographie se limite dans la troisième scène, Lumières-Images, peu ou prou à un écran géant développant une leçon de choses un peu systématique, un exercice de monstration des phénomènes naturels, des êtres vivants, des espèces nommées en langue allemande et illustrés par des vidéos, images et dessins. L’un des schémas projetés, en couleur, n’est autre que le graphique luminescent projeté ce soir même sur la façade du bâtiment conçu par Jean Nouvel.

Et pourtant, elle tourne © Denis Allard
En quête d’un Nirvana 

Dans la scène 4, « Parfums-Signes », l’idée d’union entre les arts est portée à son paroxysme avec la diffusion d’odeurs dans la salle (les narines piquées par l’encens, on tousse à certains endroits de la salle). Au plateau vocal, on retrouve alors, en plus de ceux du jeudi (enfin… de la première partie du Dimanche) d’autres habitués du Balcon, comme la basse Damien Pass, toujours aussi excellent comédien, et la soprano Léa Trommenschlager. Michaël réapparaît sous les traits d’un jeune garçon entamant un dialogue avec une Ève-Marie, désormais incarnation de la figure maternelle. 

L’infini, du bout des doigts © Denis Allard

Le volet ultime des Hoch-Zeiten ( « noces » ou « haut-temps »), le plus musical, est sans aucun doute le plus enthousiasmant. Parce que l’expérience de la diffusion en direct et sur écran de ce qui se passe au même moment dans l’autre salle, ici les quatre ensembles instrumentaux, là-bas les masses chorales (la Maîtrise de Paris constituée d’élèves du CRR). On rêverait d’autres projets de ce type, où l’exigence esthétique rejoint l’idée de grande messe lyrique contemporaine car, même si l’on ne suit pas le compositeur dans tous ses élans spirituels, on se laisse très facilement emporter par la force du rituel orchestré par un Stockhausen rêvant à la spirale, au retour incessant, à l’instant qui devient éternité. Pour clore le « cercle qui mène à l’extase » (en l’occurrence collective), les cinq synthétiseurs de l’Adieu de dimanche invitent le public à s’attarder dans les espaces du foyer.

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