CONCERT – Grande première pour les Flagey Piano Days : la programmation a été confiée à la pianiste Anna Vinnitskaya. Le temps d’un week-end partagé entre de jeunes talents et grands noms de la scène internationale, la gagnante du Concours Reine Elisabeth 2007 invite le public belge à se plonger dans la lecture éclairée des variations Goldberg par son ancien professeur, Evgeni Koroliov.
Nombreux sont ceux qui considèrent la pratique des variations Goldberg d’Evgeni Koroliov comme étant révolutionnaire et supérieure. Opinion confirmée par son élève Anna Vinnitskaya, la reconnaissance est également partagée par György Ligeti, qui certifiait alors : « Si sur mon île déserte je n’avais droit qu’à une seule œuvre musicale, alors je choisirais Bach par Koroliov, car même abandonné, affamé et mourant de soif, je l’écouterais jusqu’à mon dernier souffle ».
« Quand on entend Evgeni Koroliov interpréter Bach, on se dit : c’est exactement comme cela que ça doit être. »
Anna Vinnitskaya
Touché touchant
Les Variations Goldberg marquent le point culminant du Clavier-Übung (pratique du clavier) de Johann Sebastian Bach. Invitant l’interprète à tenir une rigueur méthodique, l’exercice est partagé par l’incessant dialogue entre la pensée rationnelle et la sensibilité musicale.
Dans sa biographie dédiée à Bach, publiée en 1802, Johann Nikolaus Forkel rapporte une histoire qui a acquis une notoriété certaine : lors d’un séjour à Dresde en novembre 1741, il est dit que le comte Keyserlingk, personnalité de renom, a demandé à Bach de composer des pièces de clavier pour son jeune disciple, Johann Gottlieb Goldberg. Affligé d’insomnies, le comte espérait que les interprétations nocturnes, depuis une pièce contiguë, l’aideraient à trouver le sommeil. C’est dans cette optique que Bach aurait créé ses célèbres variations, destinées à soulager les nuits agitées du comte.
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Berceuse de luxe ou composition maîtresse, il n’en reste que cette histoire pourrait être infondée, Bach ayant vraisemblablement composé ces variations avant cette période, entre 1739 et 1740. Quoi qu’il en soit, Bach a exploré exhaustivement l’infinité des possibles dans les Variations Goldberg, d’une diversité d’écriture musicale stupéfiante. Cette diversité englobe des mouvements de danse, des exercices de contrepoint, des pièces de démonstration virtuose, couvrant une gamme musicale complète. Fait notoire : le lien souvent méconnu du grand public entre les Variations Goldberg et la danse a pu être (re)confirmé par la proposition de la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker.
« Once you go Bach, you never go back »
Anne Teresa de Keersmaeker
De l’impétueux vers la profonde mélancolie, les variations reposent sur une solidité architecturale maximaliste basée sur la répétition de motif simples mais strictes. Fidèle de Bach à ses premières heures, Le Clavier bien tempéré, les Suites françaises et Les variations Goldberg ont signé les premiers succès d’Evgeni Koroliov.
Loin de la vision architecturale et monumentale de la partition, c’est la sensible instabilité des variations qui prévaut ici, impermanence changeante et renouvelée. La partition ne nécessitant par les grands moulinets de bras typiques de la musique romantique, ici ce sont des mouvements de précisions concentrés qui font le génie. Se distinguant par sa texture polyphonique, sa clarté et une présence émotionnelle constante, il est essentiel de ne pas négliger la profondeur que Koroliov apporte à l’exécution des compositions de Bach. En retrait, le dos légèrement aspiré vers l’arrière, Koroliov semble tenir le temps en suspens. La note soutenue, la pudeur côtoie la simplicité insolente. Jouant entre la versatilité rapide, piquée de la troisième et quatrième variation, la ligne semble claire, presque insoucieuse. Sous le poids de la tristesse, la main caresse le clavier pour la vingt-cinquième, lancinante et vibrante.
Le touché caressant, piqué mais cotonneux annonce la précision du pianiste, vertueuse et modéré. Loin de l’obsessive construction de Glenn Gould, Evgeni Koroliov prend son temps. Il est méthodique, passionné et patient.
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Dans le décor de l’Angleterre géorgienne, le récit présente Thomas Westfield, un gentilhomme anglais luttant contre les affres de l’insomnie, qui engage Samuel Goldberg, un écrivain de confession juive pour le bercer de contes jusqu’à ce que le sommeil l’emporte. S’inspirant des célèbres Variations Goldberg de Bach, Josipovici orchestre une œuvre composée de trente chapitres, chacun constituant une variation stylistique autour de la figure de Goldberg et explorant des thèmes chers à l’auteur : Homère, Shakespeare, la paternité, le mariage et l’amour, l’art et la mélancolie, les épreuves de l’écriture… Le roman se déploie en un tissu de récits et d’anecdotes, se révélant bien plus qu’un exercice d’écriture.