DANSE – Opus de collaboration entre le KVS et La Monnaie de Bruxelles, Malus rassemble le danseur Igor Shyshko et la voix du contre-ténor Logan Lopez Gonzalez pour un dialogue cathartique.
Depuis les temps bibliques, la vision religieuse associe la naissance de la conscience à la rencontre du mal. Depuis qu’Adam et Ève ont croqué dans le fruit défendu (la pomme ou Malus), l’humanité s’est vue déchue de son innocence, contrainte à la décence et au mal de son existence. Depuis, les croyances ont encadré l’existence physique par les normes strictes, les interdits et les rituels. Affligeant nos corps de jeûnes, de douleurs, d’épuisement au nom de la pénitence, une autre part fait la célébration de notre survie à l’aide de chants et danses. Serait-ce la quête d’une béatitude suprême ou un échappatoire face à la banalité de notre condition ? C’est de ça, en tout cas, que Malus semble nous parler.
Mens voca…
Le contre-ténor Logan Lopez Gonzalez est formé au Conservatoire Royal de Mons puis à la Royal Academy of Music à Londres avant d’être nommé lauréat de l’Académie MM (Monnaie). Débutant à Bruxelles dans La Petite Renarde rusée de Janacek, le chanteur a complété sa présence dans la capitale belge grâce à des rôles notoires comme dans BUSTER de Romeo Castellucci, avant de jouer le berger de la Tosca de Puccini à la Monnaie. Le public belge a également pu le voir dans le rôle principal d’Icare dans la fresque écologique SOLAR d’Howard Moody. Célèbre pour son timbre bien particulier, Logan Lopez Gonzalez incarne la génération renouvelée des contre-ténor, dont la versatilité de la voix est cherchée au-delà du cercle de l’opéra.
…In Corpore sano
Puisant dans sa pratique du yoga, Igor Shyshko cherche à déconstruire la dynamique du regard et de la visibilité. Originaire de Biélorussie, le danseur se forme en danse classique et moderne à l’Université de la culture de Minsk, avant de rejoindre à Bruxelles P.A.R.T.S (Performing Art Research and Training Studios), centre dédié à la danse contemporaine à Bruxelles, ouvert par Anne Teresa De Keersmaeker.
Connected people
Le danseur considère la pratique du yoga comme un périple introspectif tissant des connexions intérieures, en opposition avec la nature extravertie du corps du performeur qui projette son énergie vers l’audience sous la regard d’un chorégraphe. Cherchant à transposer sur scène la tranquille intensité du yogi, Igor Shyshko vise à s’aligner à la seule réalité intangible qui le dirige : la voix.
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Le corps luttant pour maintenir son vide, la ligne vocale tient la répétition et encercle le mouvement. Dans l’interstice entre musique et mouvement, le duo forge sa propre « réalité onirique ». Le spectacle n’existe que dans son instant, porté par le corps sinueux et quelques éléments de décor qui peuplent la scène.
Une grande horloge cristalline est suspendue au plafond tandis qu’Igor Shyshko incarne la sculpture du corps. Ouvrant le spectacle sur un rituel Yogi, le danseur tient l’équilibre à la force de l’esprit, avec des mouvements d’une lenteur presque cruelle. Le corps vibrant, les yeux perçants de concentration, le danseur tire sa capacité physique à bout. Le geste semble simple et pourtant…
Tempête sous un crâne
Derrière la tranquillité physique se cache le tumulte de l’esprit, de la nécessité perpétuelle du mouvement qui nous fatigue, qui nous tasse et nous achève. Si la pièce débute sur un son électronique, peu à peu, les enceintes « crachent » les bruits de la ville, des voitures, des Klaxons, de La Walkyrie de Wagner qui est jouée au loin (peut-être une référence à la Monnaie qui produit Le Ring en ce moment).
Le bruit devient insupportable, incarnant le troisième corps (presque matérialisé) de la scène. Mêlant l’électronique et la voix d’opéra, la musique composée par Alain Franco rappelle celle de Pan Daijing, lancinante et cruelle. Petit à petit, tout s’emmêle.
La clarté du Yogi se trouve perturbée par la nécessité de mouvement, de voix et de morcellement. Joint par Logan Lopez Gonzalez et sa voix claire, les notes s’apposent au corps. Prenant les voix d’opéra en Hébreu, allemand, anglais et en français, tout se mélange. La vie en Rose d’Édith Piaf côtoie les sirènes de pompiers et les cris de rue, l’incessant bruit pousse le corps du chanteur et du danseur à se poursuivre et entrer en chaos. Les arias se font plus rares, moins musicaux, plus abstraits.
Peu à peu, l’envie de silence s’impose, faisant face à sa propre incapacité de trouver le calme du quotidien. Condensé de nos angoisses, Malus est la présentations de nos folies et de nos répétitions inlassables. Les deux corps se débattent pour rester dans le néant, finalement. Le réel disparait vers l’absurde densité des folies humaines.