COMPTE-RENDU – Une production très attendue que ce Lohengrin par l’Opéra national du Rhin : une nouvelle mise en scène de Florent Siaud offrant d’assister à la prise de rôle du ténor américain Michael Spyres, le tout sous la baguette éclairée du directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov.
Élans romantiques et bruits de bottes
Un public comptant bien sûr bon nombre de spectateurs allemands s’était déplacé pour ce troisième opéra « important » (pour Bayreuth en tout cas) de Richard Wagner, composé après Le Vaisseau fantôme et Tannhäuser. Musicalement, Lohengrin ressemble davantage à ce qu’on connaît du maître de Bayreuth : suppression (ou estompement) du découpage en airs et numéros, motifs conducteurs participant à la fois du drame et du tissu symphonique, thématiques mythologiques récurrentes d’un opéra à l’autre (le Graal, Parsifal, Wotan…). Au point que l’« opéra romantique » Lohengrin prend parfois des allures de préquel du Ring, à une époque où le révolutionnaire Wagner, qui pourtant n’était déjà plus si jeune (il est né en 1813), monte sur les barricades de 1848 et se voit banni en Saxe (heureusement Lohengrin est achevé avant l’insurrection !). Lohengrin est toutefois créé à Weimar à l’été 1850 en l’absence du compositeur exilé, à Zurich.
À Lire également : la page Lohengrin et le compte-rendu Ôlyrix de cette production
On sait de quelles polémiques Wagner est encore la cause. Loin de « canceler » le livret de Lohengrin pour un führer confié à l’assemblée des nobles à la fin de l’opéra et en prenant au pied de la botte anachronique quelques heil qui parsèment le livret (sans parler de l’exaltation de l’empire allemand au sens géographiquement très large comme une gigantesque communauté – mais on sait qui précède qui, chronologiquement, dans l’histoire des deux siècles passés), Florent Siaud choisit d’affronter la charge politique imputée à Wagner malgré lui, comme il s’en explique brillamment dans un texte figurant le programme de salle. Une vision juste et complète du romantisme allemand, qui n’exclut pas l’idée de militarisation accompagnant la montée du sentiment national. Pour la Prusse qui prendra le contrôle de l’Empire allemand à sa fondation, le modèle est grec : il s’agit précisément de la conscription dans la démocratie athénienne. La scénographie réalisée avec Romain Fabre aux décors et Jean-Daniel Vuillermoz aux costumes en fait son miel, entre ruines antiques… et références médiévales (vu le sujet), tenues militaires du XIXe siècle, de vagues symboles celtiques et des allusions à une quelconque dictature uniformisatrice.

Lohengrin par Florent Siaud (© Klara Beck)
Vénus dans la constellation du cygne
Plus d’un demi-siècle après l’époque où, pour Wieland Wagner, il s’agissait de rejeter la littéralité des interprétations scéniques pour remettre en odeur de sainteté l’entreprise bayreuthienne, le cygne dont il est ici question n’apparaît jamais, sinon dans le ciel étoilé, sous la forme d’une constellation, ou bien dans des ailes calcinées, séparées du reste du corps d’un cygne noir, posées sur la scène à l’acte II ou tombées du ciel à l’acte III. Tel est le présage funeste attaché au monde d’Ortrud et Telramund, couple maléfique, concurrent et accusateur d’Elsa dans la sombre histoire de succession qui les oppose. Dans cette fable, le chevalier Lohengrin est présenté en garant de la sagesse et du savoir, matérialisés par les livres. Volontiers onirique et suggestive, la scénographie fait un usage dosé de la vidéo (Éric Maniengui), montrant sur le rideau de scène les principaux protagonistes qui se cachent le visage dans les mains. Le point fort de la mise en scène, c’est aussi la direction d’acteurs, jusque dans la manière d’organiser la présence des chœurs sur la scène (le Chœur d’Angers Nantes Opéra s’est adjoint à celui de l’Opéra national du Rhin) en tant que somme d’individus, où rien n’est laissé au hasard, plutôt que comme une masse indistincte. Tout cela est savamment chorégraphié, en particulier dans les scènes de combat.

Lohengrin par Florent Siaud (© Klara Beck)
Une démonstration de beau chant
La distribution vocale valait largement le déplacement. En tête d’affiche, le Lohengrin de Michael Spyres, si on le compare vocalement à d’autres chevaliers au cygne remarquables de ces quinze dernières années, entre le solaire Jonas Kaufmann et le claironnant Klaus Florian Vogt, est un rôle-titre tout en beauté. Il faut dire que le ténor américain se réclame du bel canto et du grand opéra. Il y a de cela, évidemment, chez Wagner. On écoute donc aussi avec grand plaisir la sortie du CD In the Shadows qu’il a enregistré avec Christophe Rousset et Les Talens Lyriques. Mention spéciale, en outre, pour la douce et volubile Johanni van Oostrum, convaincante en Elsa von Brabant, mais que l’on aimerait parfois plus assertive. Si le public a été déçu de la défection d’Anaïk Morel suite à des problèmes de santé, si sa remplaçante dans le rôle d’Ortrud peine parfois à maintenir sa justesse, Martina Serafin peut s’appuyer sur d’indéniables talents de comédienne. Le roi Heinrich de la basse finlandaise Timo Riihonen et le Telramund de Josef Wagner paraissent un peu effacés en comparaison, mais ce dernier prouvera ses grandes qualités tout au long de l’acte II. La révélation du spectacle est bien entendu le jeune baryton Edwin Fardini, en Héraut qui capte l’attention, impressionne par son appareil et sa présence scénique, encore un cran au-dessus de ce que nous connaissions de lui, si excellent, dans le Lied et la mélodie.
L’Orchestre philharmonique de Strasbourg, rarement mentionné dans le palmarès des meilleurs orchestres de France, brille ici sous la conduite de son directeur musical dans l’acoustique peu flatteuse pour Wagner du théâtre à l’italienne. La disposition judicieuse des cuivres, tantôt en fond de scène, tantôt dans les balcons surmonte quelque peu ces diverses limites : un excellent signe.

Lohengrin par Florent Siaud (© Klara Beck)