AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - InstrumentalÀ Nancy, quatre pièces de résistance en un concert

À Nancy, quatre pièces de résistance en un concert

COMPTE-RENDU – Dans un programme vingtième-siècle intelligemment conçu, Marta Gardolińska et son Orchestre de l’Opéra national de Lorraine ont décliné la thématique de la résistance avec une magistrale interprétation du violoncelliste roumain Andrei Ioniță.

« Résistance » est le titre crânement affiché pour la thématique de ce beau concert de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, donné à deux reprises dans l’écrin très « fin-de-siècle » de la Salle Poirel. Si le concert affiche quatre morceaux composés dans l’intervalle d’un siècle, le mot « résistance » revêt assurément plusieurs colorations, idéalement déclinées lors du programme.

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Résistance devant la perspective de la mort

Le terme prend certainement son sens le plus fort avec la courte Étude pour orchestre à cordes du compositeur tchèque Pavel Haas (1899-1944), œuvre créée à l’été 1944 dans le camp de Terezín (Theresienstadt), lorsqu’elle fut dirigée par le chef Karel Ančerl à la tête de l’orchestre à cordes réuni sur place. Des images de ces interprètes jouant la partition furent tournées le même été dans le cadre du film de propagande Der Führer schenkt den Juden eine Stadt (Le Führer offre une ville aux Juifs), tourné sur place par le réalisateur Kurt Gerron. Quelques semaines plus tard, Pavel Haas mourrait gazé à Auschwitz. L’œuvre, dans laquelle on pourra entendre certains échos de compositions de Janáček, exprime tout le tragique d’une vie de désespoir tout en laissant transparaître quelques accents lumineux qui laissent paraître la perspective d’un monde meilleur face à l’horreur et à la désolation. 

Résistance face à la guerre

Dans le contexte actuel, où la création est un combat quotidien, toute œuvre d’un compositeur ukrainien peut bien entendu être perçue comme un acte de résistance. C’est le cas notamment pour la magistrale pièce de la compositrice Victoria Polevá, Null, sur laquelle s’ouvre le concert. Mobilisant la totalité de l’effectif orchestral, sollicitant tout particulièrement les cuivres et les percussions, l’œuvre, qui date de 2006, est construite comme une succession de nappes sonores dont le déferlement orchestral traduit une série entre moments de grande tension et pages plus apaisées propices au recueillement et à la réflexion. Page forte et impressionnante, éminemment contemplative, qui dans la répétition de ces vagues instrumentales propose une réflexion sur le cours de la vie.

Résistance face à des canons esthétiques

Francis Poulenc, qui n’avait pourtant pas hésité à insérer le chant « Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine » au sein de son ballet Les Animaux modèles composé pour le Paris occupé de 1942, ne s’est pas vraiment construit une image de résistant politique. C’est plutôt face aux canons esthétiques de la France avant-gardiste de l’après-Guerre, et à la doxa imposée dans certains milieux intellectuels, qu’il dut batailler pour conserver sa propre identité et intégrité artistiques. Dans ce sens, le néo-classicisme haydnien de ce qu’il faut considérer comme sa seule symphonie, la Sinfonietta composée en 1947 et créée à Londres par Roger Désormière, peut, effectivement, passer pour une pièce de résistance. On en dira de même du Concerto pour violoncelle d’Elgar, atypique dans son langage à la fois classique et innovant, unique dans sa forme et sa conception tout en respectant les canons du grand concerto instrumental du dix-neuvième siècle. Elgar lui-même, compositeur hyper-populaire, catholique dans un pays d’Anglicans, en porte-à-faux par rapport au système de classes de son pays, propose par son parcours de vie un autre modèle de résistance. 

La présence à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine d’ »une femme » serait déjà, en soi et au regard de la mixité fort lente à arriver, un acte de résistance. Mais depuis plusieurs saisons qu’elle œuvre à Nancy, la cheffe d’orchestre Marta Gardolińska a montré qu’elle n’avait plus rien à prouver. Le niveau auquel elle est parvenue à hisser la phalange nancéienne atteste suffisamment du travail accompli et de ses mérites artistiques. Particulièrement dans son élément dans la maîtrise des déferlements orchestraux de Null, elle insuffle au Concerto une dynamique instrumentale dont la partie de violoncelle n’est que le paroxysme. L’archet du Roumain Andrei Ioniță, qui donne par sa rigueur interprétative l’impression de jouer du Bach dans cette œuvre postromantique en diable, crée la sensation de la soirée. Deux bis, une pièce suédoise suivie d’un autre géorgienne, sont généreusement octroyés. Retour à l’émotion et au recueillement avec l’Étude de Haas, pour une fin lumineuse avec Poulenc et sa Sinfonietta. On aurait néanmoins pu s’attendre, pour une fin de concert, à une œuvre plus brillante et plus clinquante. La résistance, on le voit, n’a pas de limites. 

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