Lettre à Marc-Antoine Charpentier

OPÉRA – 331 ans après sa création catastrophe à Paris, la Médée de Marc-Antoine Charpentier a connu une deuxième naissance au Palais Garnier. Pour l’occasion, et comme on est des intimes du compositeur, on s’est permis de lui faire une petite lettre dans son style d’époque, pour lui en donner des nouvelles. Vous voulez bien la relire ?

Mon très cher ami,

Je t’écris pour t’annoncer une excellente nouvelle : Médée, ta tragédie lyrique, sur un livret de Thomas Corneille, avait connu un échec injuste lors de sa création à l’Académie Royale de Musique, en décembre 1693, comme tu t’en souviens probablement, tes propositions innovantes n’ayant pas eu l’heur de plaire à la clique des lullystes, qui faisaient la pluie et le beau temps à la Cour du Roi.

Mais ce temps là n’est plus, mon cher ami, et après trois-cent-trente-et-un ans, cette injustice est enfin réparée et ton oeuvre vient d’être recréée, et de surcroit au Palais Garnier. C’est William Christie, un chef baroque fort apprécié des amoureux de la musique ancienne, et son ensemble des Arts Florissants qui ont été choisis pour jouer ta musique foisonnante et complexe, eux qui avaient contribué à la redécouverte de ton chef-d’oeuvre par l’enregistrement d’un CD mythique en 1984.

Toujours, la guerre…

La mise en scène à été confiée à David Mac Vicar, un metteur en scène habitué des ouvrages baroques (car tu es considéré comme baroque de nos jours). Cet écossais a transposé avec élégance et raffinement la scène originelle de Corinthe dans un luxueux état-major de la Deuxième Guerre Mondiale, où cohabitent plusieurs armées (comme dans le livret de ton ami Thomas Corneille), à ce détail près qu’ici les Argonautes renaissent en amiraux de l’armée de mer britannique, Oronte et ses divisions d’Argos sont transformés en aviateurs de l’US Air Force tandis que Créon et ses troupes corinthiennes deviennent De Gaulle et son Armée de la Libération.

© Elisa Haberer – OnP

Tu me diras que cette transposition n’apporte sans doute pas grand chose à la narration et à la compréhension de l’histoire, et tu aurais raison. Sache cependant que les lumières sophistiquées de Paule Constable créent des ambiances très contrastées et crépusculaires, et que la classe aristocratique des décors rehausse de manière spectaculaire l’aspect visuel de la production, de même que les costumes très étudiés de Bunny Christie : cette costumière de talent, écossaise elle aussi, a ancré les robes et les coiffures dans la ligne austère des années quarante.

Les reliefs des vestiges

Et la musique, me diras-tu ? Sois rassuré, mon cher ami : Même si ton prologue à la gloire de Louis XIV a été amputé car il n’est plus vraiment dans l’air du temps, Les Arts Florissants ont fait montre dès le premier acte de ce son si précis et homogène qui est leur marque de fabrique. Si certains récitatifs manquaient un soupçon de relief et de vitalité, l’orchestre s’est dévoilé à de maintes occasions dans toute sa splendeur, notamment dans les grandes scènes de foule, par exemple avec le belliqueux « Courez aux Champs de Mars » à la fin du 1er acte, ou bien lors de l’apparition d’Amour débarquant sur son avion à paillettes roses, la scène astucieusement métamorphosée en numéro de Cabaret. 

© Elisa Haberer – OnP

Les scènes dansées, illustrées par les chorégraphies dynamiques et racées de Lynne Page, ont également insufflé un rythme nouveau à chaque intervention, les danseurs se lançant dans les tableaux les plus divers : le coté martial requis lors des illustrations de batailles, mais aussi les épanchements langoureux des illustrations amoureuses, ou enfin la furie déhanchée des danses des démons éructants.

Voix d’outre-temps

Je sais que la qualité des voix t’est chère, et de ce coté-là tu aurais été enthousiasmé :

  • Les rôles secondaires ont été assumés avec projection et investissement, qu’il s’agisse de Matthieu Walendzik, de Bastien Rimondi ou de Clément Debieuvre dans les rôles des Corinthiens ou des Furies. 
  • Les captives de Julia Wischniewsky et de Juliette Perret ont séduit l’auditoire par la qualité de leur phrasé émouvant, Viriginie Thomas en Fantôme ayant quant à elle charmé avec son timbre fruité et rond. 
  • Maud Gnidzaz et Alice Gregorio ont donné au trio vocal (avec Bastien Rimondi) un écho vivifiant et lumineux au Choeur par leurs interventions soignées et homogènes.
  • Mariasole Mainini, en un numéro de cabaret aussi scintillant que sa robe, a séduit le public immédiatement dans son ravissant aria italien, servi par un timbre charnu et solaire.
  • Julie Roset a complété la scène avec facétie et aisance, offrant à Amour un souffle de belle tenue et des aigus scintillants.
  • Lisandro Abadie a chanté un Arcas de fort belle carrure, grâce à une ligne sobre et élégante, au timbre cuivré, tandis que la Nérine d’Emmanuelle de Négri lui donnait la réplique de son médium très velouté, avec un focus assuré et une ampleur appréciable, même si le grave a pâti de quelques petits soucis de justesse. 
  • Nous avons également apprécié la Cléone très engagée d’Elodie Fonnard, à la diction savoureuse.
  • Laurent Naouri a mis au service de Créon ses indéniables qualités de tragédien, ainsi que la projection vaillante de son instrument, cependant lissé par les ans et qui accuse des fêlures dans le phrasé et une couleur un  brin ternie dans le médium malgré une diction louable.
  • Gordon Bintner , quant à lui, a personnifié un Oronte valeureux, combatif et sanguin de toute la puissance de sa voix sombre, avec une belle égalité des registres et des aigus percussifs et ancrés.
  • Ana Vieira Leite, à la voix suave et fraiche, a donné à Créuse une incarnation complexe et touchante, offrant des accents étonnants de sincérité, par la clarté de son timbre, à la périlleuse scène de sa mort.
  • Reinoud Van Mechelen, habitué des rôles de Haute-Contre à la française, a déployé tout au long de la soirée un métier incontestable en Jason, de par la sobriété éloquente de son jeu, la prononciation sans faille, la rondeur de son timbre, la projection irréprochable et et la maitrise de la voix mixte, faisant de chaque phrase aigüe un moment de grâce et de légèreté.
  • Enfin, dans le rôle-titre, Lea Desandre s’est révèle une tragédienne d’envergure. Certes, l’étoffe a manqué un peu d’épaisseur dans les scènes les plus dramatiques, mais la beauté du timbre, la qualité des phrasés et de la justesse, la diction très soignée et l’implication dramatique intense pour un rôle écrasant ont emporté le moindre bémol. Son « Quel prix de mon amour » éploré à la fin du IIIe acte restera comme un des sommets de la soirée.
© Elisa Haberer – OnP
À lire également : L’Affaire Couperin, nouveau thriller des Arts Florissants

Sache enfin, mon cher Marc-Antoine, que ta Médée a été longuement applaudie, et que cette nouvelle production de l’Opéra de Paris a su tenir toutes ses promesses. Le public a été subjugué par l’ultime scène, où, en hommage à la machinerie des Tragédies Lyriques du Grand Siècle, Médée s’élève dans les airs, laissant à ses pieds Jason désespéré tenant dans ses bras les corps de ses deux enfants ensanglantés, tandis que le décor s’écarte en une image saisissante, comme si la scène elle-même se disloquait devant tant de larmes et de sang.

© Elisa Haberer – OnP

Comme tu peux le constater, mon cher ami, cela valait sans doute la peine de patienter trois-cent-trente-et-un ans pour savourer ce franc succès.

Bien à toi,

Ton dévoué….

- Espace publicitaire -
Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

- Espace publicitaire -

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

- Espace publicitaire -

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]