DANSE – La Martha Graham Dance Company présente ces jours-ci au New York City Center un programme intitulé « American Legacies », qui rend hommage à une Amérique fantasmée. Sur fond de musique country, on quitte alors le New York de Martha Graham pour l’Ouest.
Texas Hold’em
Pour cette dernière soirée de la série « American Legacies », la Martha Graham Company fait un choix de programme ambitieux et pour le moins original, nous faisant passer de Rodeo, pièce historique originellement montée par et pour les Ballets Russes de Monte Carlo au Metropolitan Opera de New York en 1942, à Cave, une récente pièce du chorégraphe israélien Hofesh Shechter (2022). Le programme tient alors par la création We The People de Jamar Roberts, marqué par son expérience à la Alvin Ailey Company, qui fait le lien entre deux univers radicalement différents.
En une soirée, «l’ American Legacy », au pluriel, que nous promet la compagnie montre aussi toute la complexité de la question : les blue jeans que portent les danseurs dans la pièce de Jamar Roberts semblent ainsi nous indiquer que le monde western a toujours son mot à dire, tissant des liens jusque dans la boîte de nuit psychique d’Hofesh Shechter.
16 Carriages
Comment ? Vous croyez reconnaître les titres du nouvel album de Beyoncé ? C’est que tout, ou presque, est bien histoire de musique ici. La première pièce du programme, Rodeo, est joué avec un ensemble de musique live, le Gabe Witcher Sextet, qui interprète la musique d’Aaron Copland en version blue grass. Or la musique blue grass vient justement du fameux « Bluegrass State », le Kentucky, au cœur de la musique country, mais aussi d’un certain mélange entre tradition folk anglo-irlandaise, et le fameux blues américain. C’est de ce deuxième élément que Jamar Roberts tire son We The People, « half-lament, half-protest » [mi-lamentation, mi-manifeste] comme nous le décrit Janet Eilber, directrice artistique de la compagnie, en se détournant du monde strictement rural de Rodeo pour interroger précisément cette « legacy », c’est-à-dire l’héritage de cette musique, et de ses implications politiques. Encore une fois, rien n’est laissé au hasard, et c’est la musicienne et violoniste Rhiannon Giddens, originaire de Caroline du Nord mais connue pour ses origines diverses (native-American, afro-américaine, mais aussi européenne..), qui laisse place à sa musique country éclectique, entre blues et musique old-time.
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S’il y a un héritage, c’est qu’il y a aussi une question d’appropriation, ou plutôt de ré-appropriation. Les danseurs de la Martha Graham Company délaisse ainsi la modern dance pour se couler dans la square dance (avec pour star ce soir Marzia Memoli) ou les claquettes (et l’on remarque le solo impressionnant de Jacob Larsen, sur une chorégraphie de Dirk Lumbard), mais aussi, dans un univers totalement différent, les mouvements bien spécifiques d’Hofesh Shechter (qui semble porter aux nues Lloyd Knight). Entre une fête de village et une boîte de nuit, on met Cowboy Carter sur le tourne-disque, et on se dit qu’il est peut-être temps pour nous aussi d’entrer dans la dance.