DANSE – Une valse bouleversante de femmes puissantes intergénérationnelles : le chorégraphe norvégien Alan Lucien Øyen redonne un coup de neuf à l’avant-dernière pièce de Pina Bausch « Sweet Mambo », résumant parfaitement son œuvre, sa transmission, et l’évolution prophétique de son message, avec certaines de ses interprètes historiques, qui dégagent toujours autant de vitalité et de sensualité.
Test-amant
Son dernier spectacle présenté au Théâtre de la Ville, son avant-dernier spectacle tout court (un an avant son décès en 2009), Sweet Mambo résume parfaitement la puissance sensuelle de l’œuvre de Pina Bausch, questionnant une fois de plus la complexité des rapports hommes/femmes et la difficulté de communiquer quand nous tissons des liens (trop serrés).
La scénographie est épurée : dans un décor de « voiles en suspension » par Peter Pabst, sept femmes aux cheveux détachés, revêtues des fameuses robes nuisette en soie blanches ou colorées de Marion Cito, dansent et prennent la parole, les trois hommes, quant-à-eux, en costumes de ville se comportent comme de simples figurants muets. Le décor est planté.
Trans-mission
Une nouvelle arrivée dans la troupe, Naomi Brito, une femme brésilienne trans ouvre le spectacle avec un solo aussi sensuel que sublime. Avant de s’en aller, elle nous dit « N’oubliez pas, Naomi ». Comment pourrait-on l’oublier ? Sa danse est d’une technicité à couper le souffle. Une ancienne interprète de Pina Bausch arrive et prend le flambeau. Et rebelotte, chaque danseuse dira son nom à plusieurs moments de la pièce suivi de « n’oubliez pas, … ». Elles sont quasi toutes là, les interprètes emblématiques de Pina, qui ont pour la plupart une soixantaine d’années : Nazareth Panadero, en clown pour nous dire que « la vie c’est comme le vélo, on roule ou on tombe », Aida Vainieri, Hélena Pikon assise sur la cuisse d’un homme où elle parvient à l’orgasme en matant le public avec ses jumelles, Julie Shanahan qui après avoir dansé avec trois hommes, se balance un seau d’eau sur sa poitrine ou encore Julie Anne Stanzak qui hurle « Let me Go » quand elle n’arrive pas à traverser la scène. Et malgré leurs âges, toutes ces femmes dansent avec une certaine virtuosité et sensualité créée par leurs bras qui s’enlacent et se repoussent. Des femmes fortes et puissantes, ce qui ne les protège pourtant pas d’être parfois malmenées par les hommes…
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Mambo #MeToo
À l’origine, « Sweet Mambo » racontait le désespoir de femmes trompées par des hommes infidèles à travers une succession de tableaux répétitifs dansés ou parlés sans vraiment déployer de narration. Un théâtre de l’absurde-dansé inventé par Pina Bausch. Mais la répétition, une dizaine de fois, de la scène où une danseuse en robe-nuisette court sur scène avant d’être ramenée en arrière par deux hommes en costume noir, ses pieds ne touchant plus le sol, évoque désormais un autre contexte. Et montre en même temps combien le spectacle était déjà visionnaire : là est la transmission offerte par cette œuvre et ses interprètes originelles qui ont acquis en expérience et maturité (mais peut-être pas notre monde qui les confronte toujours aux mêmes).
Les scènes montent en violence (un homme suit une femme et lui soulève sa robe ou une femme est soulevée de force par deux hommes), scènes brutales entrecoupées par des interludes plus légers : cocktail party avec coupes de champagne et une danseuse qui nous donne des conseils pour arborer notre plus beau sourire. La légèreté apparente est aussi imprégnée de tragique. Comme cette autre scène où une danseuse interpelle une femme du public : « Si vous avez un problème, n’importe quel problème, je peux crier pour vous. » ou encore à une autre danseuse, quand on lui comment ça va ? « Bien. Morte mais bien ».
Ces femmes ne sont pas des vamps séductrices qui mettraient à mal les hommes, ces hommes sont toxiques parce qu’ils croient aimer mais harcèlent. 15 ans après, cette pièce bouleversante de Pina Bausch résonne comme son œuvre : d’autant plus fort avec l’actualité et mérite d’être vue.
Image de Une : Nazareth Panadero © Karl-Heinz Krauskopf