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Du concert au show business avec les imprésarios

LIVRE – L’historienne Lætitia Corbière publie aux éditions Symétrie une « somme », un travail impressionnant intitulé « Les imprésarios au cœur des échanges internationaux, 1850-1930 ». La richesse du travail allie la rigueur scientifique avec une organisation chronologico-thématique permettant de voyager en étant bien guidé (comme une vedette avec son imprésario).

La figure de l’imprésario est bien choisie parce qu’elle est fascinante et qu’elle a bien changé… et à ce titre justement, la période choisie est bien choisie parce qu’elle est charnière : l’imprésario n’est plus alors l’organisateur d’une saison et d’une maison d’opéra (le mot vient de l’italien « impresa » : entreprise), mais il n’est pas encore le simple synonyme d’un agent d’artiste (« Voyez cela avec mon impresario » ou « mon agent » ou « mon manager » dirait aujourd’hui une starlette importunée par une proposition peu lucrative, pour désigner celui ou celle qui négocie ses engagements contre 10%).

Bien choisi

La période et le sujet sont bien choisis, car l’imprésario va prendre une nouvelle fonction, correspondant à l’évolution du monde culturel de cette période : la production artistique entre, avec le concert public payant globalisé, dans un Nouveau Régime (comme le détaille cet ouvrage). Dans ce nouveau monde (notamment car il est désormais transatlantique), l’artiste y rayonne, l’imprésario s’y réinvente. L’objectif pour le musicien n’est plus seulement de trouver une place dans une cour ou une institution, il peut désormais gagner sa vie par le concert payant et les tournées. L’imprésario sera là à la fois du côté de l' »offre » et de la « demande », accompagnant les artistes et bâtissant des tournées de concerts (les shows deviennent un business) : il va tout concevoir, préparer, organiser, communiquer, vendre (et récupérer)…

À ce titre la figure de l’imprésario est fascinante, pour le meilleur et pour le pire : comme il est impliqué à la fois dans l’organisation pratique et artistique, il peut encourager et aider les artistes à développer leur génie… tout comme avoir tendance à vendre l’expérience culturelle comme un produit racoleur (un artiste comme une bête de foire).

(Ré)Visions

Ce voyage à travers une nouvelle ère, celle de la naissance d’une industrie culturelle mondialisée, rappelle combien l’art est en prise directe avec le monde dans toutes ses dimensions : combien il suit, ou accompagne ou encourage des évolutions sociales, politiques, économiques. C’est tout l’intérêt des ouvrages à la richesse scientifique comme celui-ci : ils permettent de réviser et d’apprendre bien des choses sur l’économie, le développement des transports, les discours publicitaires, l’organisation d’un système de production, le droit, les enjeux géo-politiques… tout cela d’une manière cohérente, avec le fil rouge qu’est la figure de l’imprésario.

Impression, soleil levant

Dès la couverture de cet ouvrage, avec ce paquebot prêt pour le voyage, dans un univers chromatique d’orange et rouge, le périple est annoncé : celui à la fois d’une aube (celle des voyages internationalisant le marché de la musique et la mélomanie) mais aussi d’une aurore, celle des imprésarios d’alors qui vont disparaître ou plutôt se réinventer. L’imprésario de l’Opéra italien aux XVIIe et XVIIIe siècle s’occupait des salles, celui d’aujourd’hui s’occupe des artistes, mais pendant la période traitée dans ce livre, il fit les deux… le temps en fait que le Nouveau Régime reprenne effectivement un soutien pérenne à l’art comme sous l’Ancien Régime. Désormais que les salles de spectacles ont leurs propres directions et services (de production et de communication), plus besoin d’un imprésario pour tout leur organiser. Les lieux produisent ou louent des productions en voulant choisir les artistes qu’ils engagent pour ce faire, ou alors ils louent simplement leurs espaces à d’immenses boîtes de productions (loin du travail d’un imprésario qui accompagne aussi “son” artiste au quotidien). Et pour ce qui concerne les artistes, ils négocient avec des agents (le nouveau nom des imprésarios, qui n’ont certes plus vocation à organiser des saisons et des tournées, mais aussi car leurs fonctions au service des artistes se sont démultipliées, pour englober le conseil et la gestion sur tous les aspects de la carrière, jusqu’à la vie quotidienne).

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Bien sûr, cela n’empêche et n’empêchera jamais certains agents de se faire aussi producteurs et vice-versa, mais à condition d’éviter justement un mélange des genres qui restreindrait les possibilités des artistes, et les choix des salles de concert…

Impression, soleil couchant

Et comme le rappelle ce livre en conclusion, la mort des imprésarios est régulièrement annoncée, sous quelque forme que ce soit d’ailleurs, preuve qu’il ne cesse de se réinventer (de Liszt à Hélène Ségara, -noms- cités dans cette somme).

Pourquoi on aime ?
  • pour la dévotion du travail dans les archives
  • pour le voyage à travers le temps et les lieux avec des noms fameux ou oubliés
  • pour l’analyse du show comme un business et du business comme un show
C’est pour qui ?
  • pour l’universitaire fan de notes de bas de pages, d’index (il y en a 15 pages), de bibliographie (33 pages) et même des (16) pages listant des sources…
  • …et en même temps pour le lecteur qui veut juste parcourir un siècle d’histoire musicale (en restant quand même concentré)
  • pour l’artiste qui voudrait que son agent en fasse un peu plus (mais pas trop quand même)
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