LIVRE – Dans La Rivale, Eric-Emmanuel Schmitt invite le lecteur, avec beaucoup d’humour et de malice, à suivre les traces de la cantatrice Carlotta Berlumi, vieille dame cacochyme qui soutient contre vents et marées qu’elle fut en son temps la principale rivale de Callas.
Ce roman court et savoureux devrait réjouir tous les passionnés d’opéra et les admirateurs de Callas après les célébrations du Centenaire de sa naissance. Après plusieurs décennies passées à se produire sur des scènes secondaires puis à enseigner en Argentine, la nonagénaire cantatrice Carlotta Berlumi revient en Italie et plus précisément à la Scala de Milan où elle soutient avoir connu ses heures de gloire. Oubliée de tous, la vieille femme hèle depuis le parterre du théâtre un jeune homme passionnée d’art lyrique et guide conférencier, Enzo. Natif de Rimini, Enzo a découvert le monde de l’opéra grâce à son grand-père, lui-même passionné. Pendant sa présentation de la Scala, il évoque pour les touristes présents la haute figure de Maria Callas, qu’il idolâtre. Mais Carlotta Berlumi ne l’entend pas de cette oreille, considérant que Callas a comploté pour l’éloigner de la scène et la jeter aux oubliettes. Enzo devenu confident et Carlotta Berlumi finissent par se retrouver à plusieurs reprises autour de cocktails bien tassés.
Haters gonna hate
La Berlumi déroule alors ses souvenirs de carrière et de vie, sa haine grandissante pour sa rivale, qu’elle n’épargne pas : sa technique vocale, sa présence en scène et même sa spectaculaire métamorphose corporelle. Le tout en réservant au passage quelques piques à Renata Tebaldi . « La Callas ? Vous verrez : bientôt plus personne ne se souviendra d’elle » ne cesse t’elle d’asséner à ses interlocuteurs ou à ses nombreux amants : surtout les barytons-basse à la réputation à priori flatteuse dont elle s’avère particulièrement friande. Sur le plan artistique, la soprano Carlotta Berlumi revendique son appartenance à une autre esthétique qui met en avant la beauté de la ligne de chant et la retenue dramatique : tout le contraire de Callas !
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Alors que sa carrière ne cesse de décroître du fait (pense t’elle) des manigances et des tromperies de Callas, la carrière de cette dernière explose et déborde largement du simple monde de l’opéra ! Mais Carlotta Berlumi prépare sa vengeance en pratiquant à domicile une sorte de vaudou. Lors de la fameuse première de La Norma à l’Opéra de Rome en 1958, elle se tient au premier rang d’orchestre. Callas la voyant est soudain prise de malaise et doit interrompre la représentation, créant le scandale que l’on sait ! Si Callas part se réfugier en Amérique de Nord, Carlotta Berlumi choisi pour sa part l’Afrique du Sud et l’Argentine.
Jalousement gardé…
Le roman fourmille d’anecdotes savoureuses et propose le portrait en creux et fort irrévérencieux, mais aussi un rien cruel, de deux cantatrices, l’une imaginaire et l’autre bien vivante ! Eric-Emmanuel Schmitt connaît parfaitement bien l’opéra et la musique : ce livre le prouve, sans en faire tout un étalage. Mais les superbes premières pages marquant la découverte par Enzo de l’opéra en portent un saisissant témoignage, assez personnel semble-t-il. Et encore, on vous a rien dit des dernière pages du roman, qui révèlent les liens effectifs qui unissent en fait les différents personnages. Un très agréable moment de lecture, paru chez Albin Michel.