CONCERT – Le printemps souffle encore et toujours sur l’Orchestre du Capitole. Le printemps et même plusieurs : les 50 de cette phalange qui fête son demi-siècle à la Halle aux Grains, des grains devenus musicaux mais aussi poétiques pour fêter également les 700 printemps de l’Académie des Jeux Floraux, une institution occitane, le tout sous la baguette du nouveau directeur musical désigné, Tarmo Peltokoski.
Dernier souffle poétique
Adieu, à Dieu… c’est dans cet état d’esprit qu’étaient entrés les compositeurs au moment de signer leurs œuvres réunies ce soir. En 1948, Strauss a quitté son Allemagne détruite. Installé au bord du lac Léman, il passe les quelques mois précédant sa mort à redonner vie au Lied à travers quatre œuvres intimes, et testamentaires composées pour sa femme. Ici le printemps (« Frühling », premier lied) annonce la mort à travers la fine poésie d’Hermann Hesse tandis que l’arrivée du crépuscule (« Im Abendrot », dernier lied) sonne teintée d’espoir avec Joseph von Eichendorff (la dimension poétique de la soirée est en outre renforcée par la lecture de poèmes, par leurs auteurs membres de l’Académie des Jeux Floraux). Le tutti de ce dernier Lied nous entraîne naturellement vers le gigantisme orchestral de la Neuvième Symphonie de Bruckner, œuvre également posthume.
Des adieux, crépusculaires (expliquant le titre de ce concert : “Crépuscules Romantiques”), mais en forme de promesse d’une renaissance, d’un nouveau Printemps. “Si le grain ne meurt” écrivait un célèbre auteur en reprenant l’Evangile…
« Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. »
Jean 12, 24-25
L’Adieu prend déjà des teintes d’éternité dans les Quatre derniers Lieder tels qu’interprétés ce soir, avec une forme d’homogénéité générale, qui peut parfois égarer l’auditeur mais l’installe également dans une atmosphère onirique et intemporelle. L’orchestre murmure d’une grande précision sous la direction calme de Tarmo Peltokoski et porte la voix vers le haut, ultime salut. D’autant que des interventions solistes (le cor solo Eloy Schneegans, notamment) apportent déjà toute leur luminosité. Une lumière et une vitalité qui se retrouve dans les aigus brillants de Chen Reiss, dont la grande technique s’affirme aussi sur des graves larges et poitrinés, accompagnés par un tapis musical sombre et cuivré. Le timbre de la soprano est profond, rond, mais peine à suffisamment porter par-dessus l’orchestre. Le premier Lied coule à l’inverse avec les harpes, la sobriété orchestrale laissant place aux mélopées de la soprano qui se posent sereinement dans les aigus.
L’orchestre en tutti fait du dernier Lied (Im Abendrot – Au crépuscule) un adieu, annonçant déjà les vers conclusifs : « comme nous sommes las d’errer ! Serait-ce déjà la mort ? »
L’embrasement d’un adieu
La Symphonie de Bruckner développe alors son Adieu vers le grandiose (à l’image, incontournablement d’une autre fameuse 9ème Symphonie testamentaire, dont nous célébrons demain le 200ème anniversaire). Un Adieu qui permet décidément de célébrer une nouvelle arrivée, celle du chef Tarmo Peltokoski qui prendra officiellement la direction de l’Orchestre National du Capitole en septembre. Celui qui n’a pas encore célébré son quart de siècle, rend ainsi un hommage à celui qui, il y a un demi-siècle en cette même salle, re-donnait une seconde vie à cette phalange, sous sa forme actuelle : Michel Plasson.
Malgré ou peut-être grâce à sa jeunesse, Tarmo Peltokoski montre une gestuelle fine d’une sérénité confiante, offrant des instants de communion presque religieuse entre lui et son orchestre. Les attaques n’en sont pas moins percutantes, l’orchestre bouillonne et déploie sa qualité sonore et technique. Le martèlement marqué par sa précision devient chaos maîtrisé puis se fond étonnamment en un chant lyrique. Sa baguette se lève avec les archets pour animer ce dernier adieu.
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Ce concert placé sous le signe des Adieux célèbre ainsi tout sa vitalité et l’arrivée d’un sang neuf au podium, mais, après des applaudissements bien mérités, le concert se termine effectivement par un autre adieu, ou plutôt, “Ce n’est qu’un au revoir”, joué par le pupitre d’alto pour honorer le départ à la retraite de Tymoteusz Sypniewski, fort d’une longue carrière à l’Orchestre National du Capitole.