COMPTE-RENDU – Le pianiste Grigory Sokolov donne à la Halle aux Grains de Toulouse, dans le cadre de la saison des « Grands Interprètes », un récital consacré à trois compositeurs incontournables du répertoire.
Vêtu sans chichi du frac règlementaire avec sa queue de pie noire et son nœud blanc, Grigory Sokolov s’installe directement à son piano et commence à jouer. Sans partition tout au long du programme, il joue par cœur concentré sur son clavier, sans effusion gestuelle, se servant juste de ses doigts et de ses poignets pour démarquer avec précision l’intensité de chaque note. Seuls quelques discrets mouvements de la mâchoire l’aident à ponctuer les rythmes et à s’immerger dans la musique.
Programme : simple et efficace
Malgré un répertoire large et complet, Grigory Sokolov a choisi pour ce soir trois des compositeurs les plus reconnus et populaires pour le clavier. Les poétiques et romantiques Scènes de la forêt de Robert Schumann succèdent ainsi aux Mazurkas de Chopin (les quatre Op. 30 puis les trois Op. 50) qui succèdent elles même à la Partita n°2 de Jean Sébastien Bach (que Sokolov a par ailleurs enregistré chez naïve) et aux quatre duetti du même compositeur. Ces derniers, assez peu donnés, font ainsi office d’une petite touche de rareté pour éveiller la curiosité du public au début du programme qu’ils complètent parfaitement.
L’interprétation : simple et efficace
Le jeu est spontané et inscrit chaque note dans la continuité du récital. Une importance particulière est accordée à la fluidité. Les silences ne cassent ainsi jamais la partition, mais en soulignent les reliefs. Dans cette optique et pour garder son esprit dans l’œuvre, Sokolov veille à ce qu’il n’y ait qu’un temps très limité entre les mouvements d’un même ensemble. Respectueux des compositions et de leur esprit qu’il connait sur le bout des doigts, il veille à retranscrire aux oreilles de l’auditeur leur caractère singulier. Le premier duetto vif et staccato se constitue ainsi de notes franches et nettes avec un usage parcimonieux du pied et rappelle les sonorités du clavecin initial de l’époque de Bach. Dans un esprit semblable, les suivants laissent une place supérieure à la sensibilité. Sur le reste du programme, Sokolov joue sur les oppositions. La mélodie généreuse de la Mazurka n°2 en si mineur est ainsi suivi par les graves appuyés et incisifs qui amorcent la n°3. Dans la n°4, la course à pas feutrée dessinée par les répétitions du motif principal évolue peu à peu vers la cristallinité.
La Sinfonia de la Partita amorce la suite avec solennité par ses graves puissants et tenus quand une douceur légère se montrera au contraire dans la Sarabande. Le Chasseur à l’affût se mouvant dans les ostinatos, frappe par son grave impactant qui produit une rapide effusion des aigus symbolisant les animaux s’échappant dans la nature. Les fortes dynamiques de la Chanson de chasse s’opposent à l’intime profondeur doucement mélancolique de L’Oiseau prophète qui la précède.
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Avec le public : devinez quoi…
Oui, simple et efficace aussi ! Habitué de la Halle aux Grains, Grigory Sokolov qui était déjà venu l’an passé, noue une relation suivie avec le public toulousain. Si les saluts sont empreints d’une sobriété et d’une pudeur toute russe, il montre son amour pour le public de la meilleure façon qui soit avec un florilège de six rappels comportant entre autres Les Sauvages de Rameau et un Prélude n°15 de Chopin particulièrement intense. Le public insatiable ne cesse d’en redemander et applaudit le pianiste avec toujours plus de vigueur.