COMPTE-RENDU – Alors que le Festival de Cannes bat son plein, une autre star étoilée se produisait à la Philharmonie de Paris : la pianiste Hélène Grimaud, dont le rayonnement ne faiblit pas. Son programme romantique, composé d’œuvres de Beethoven, Brahms et Bach/Busoni, a mis des étoiles dans les yeux du nombreux public, réuni ce soir-là Porte de Pantin.
Au firmament
Certains artistes sont des étoiles filantes : ils passent dans le ciel, l’embrasent et disparaissent aussitôt. D’autres vont briller correctement, sans plus mais de manière durable, pour former la voie lactée. Il en est, enfin, qui sont des comètes, au sillage durable et à la légende bien établie. La pianiste Hélène Grimaud est de ceux-là. Depuis de nombreuses années, elle a été aperçue en divers endroits de la planète, dans les plus prestigieuses salles de concert comme dans les grands espaces américains, en compagnie de loups et de chevaux. Si ses débuts pouvaient laisser présager un destin d’étoile filante (n’a-t-elle pas été une enfant/soliste, en compagnie de Daniel Barenboïm notamment, à une époque où la juvénilité des stars féminines était à la mode, à l’instar d’une Jodie Foster ou d’une Judith Godrèche… ?), on est rassuré de voir qu’elle n’a pas quitté les hauts plateaux, quelques quarante ans après ses débuts publics.
Un programme scintillant
Vêtue d’un tailleur pantalon noir à paillettes et brillant de mille feux, la pianiste s’avance sur la scène de la Philharmonie de Paris, de son pas long et élégant. Elle attaque assez rapidement la 30e sonate pour piano de Ludwig Van Beethoven, composée en 1820. Il s’agit d’une pièce de la maturité -Beethoven mourra sept ans plus tard-, remarquable par sa liberté formelle et le conduit du discours dramatique. Si Grimaud déploie un beau récit à la main gauche, ses attaques sont franches, voire tranchantes, et on espère voir arriver la détente qui viendrait atténuer ce qu’il faut bien appeler le trac de début de concert. Et oui, mêmes les plus chevronnés ne sont pas à l’abri de cet éternel ennemi des artistes !
Heureusement arrive l’opus 117 de Johannes Brahms, qu’elle donne en concert depuis de nombreuses années. Ces 3 Intermezzi (intermèdes), composés eux aussi à l’automne de la vie du compositeur – Brahms mourra cinq ans plus tard-, se caractérisent par une extrême mélancolie, déployée en longues phrases mineures et tempi lents. Si l’on sent un peu l’effet d’usure sous les doigts d’Hélène Grimaud, elle retrouve ses réflexes de jeu, sa qualité de pénétration et de très belles nuances piano. Ce qui lui permet d’aborder avec sérénité l’opus 116, toujours de Johannes Brahms : sept caprices et intermèdes, composés à la même période que l’opus 117. Là aussi, les tonalités mineures et brumeuses dominent. La tristesse imprègne tout, mais la tendresse aussi. Et les doigts de Grimaud se font chantres de cet état d’humeur, dans une irrigation pudique et continue du discours musical et une grand maîtrise des nuances mezzo voce ou murmurantes… L’émotion est à fleur de peau et c’est toute la Philharmonie qui chavire.
Un final étincelant
Quant à la pièce conclusive de ce récital, morceau de bravoure s’il en est, elle lui permet de rappeler fort à-propos qu’elle a encore des choses à dire au piano. Composée au tournant du 20e siècle, la transcription de la Chaconne pour violon en ré mineur de Bach, extraite de sa partita VWV 1004, par l’italien Ferruccio Busoni, n’est pas à la portée du premier venu. C’est avec une gourmandise et un plaisir manifeste qu’Hélène Grimaud l’offre au public. Sa maîtrise technique est impériale, sans toutefois s’imposer sur le discours musical. Les variations qui s’enchaînent, chacune avec son lot de difficultés, deviennent des envolées lyriques et réjouissantes, qui donnent envie d’écouter sans plus attendre la suivante. Et quand le thème initial réapparaît à la fin, nul besoin pour la soliste de rechercher un quelconque effet d’emphase : il est la conclusion magistrale et triomphante d’une séquence musicale de toute beauté.
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Après de nombreux saluts et l’interprétation de deux bis, et alors que les applaudissements crépitent de toute part, Hélène Grimaud s’en repart, élégante et mystérieuse, laissant derrière un sillage subtil et persistant. Une comète vous dis-je.