AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - DanseRequiem(s) de Preljocaj : la mort aux trousses

Requiem(s) de Preljocaj : la mort aux trousses

DANSE – La dernière création d’Angelin Preljocaj, Requiem(s), fait de la mort, pour les vivants, un fait social total diversement ritualisé par les êtres humains, depuis l’aube de leur(s) Civilisation(s). 

Danse macabre

La mort, c’est d’abord la bande-son qui remplit les oreilles de lamentations, de déplorations vocales, sacrées ou profanes, par autant de pleureuses et de pleureurs, auxquels répondent des corps larmoyants, humidifiés par le chagrin. Les larmes consolent les vivants et leur permettent de traverser l’épreuve de la perte absolue. Des voix parlées, toutes vieilles et fragiles, viennent associer la mort à l’expérience de la vie, avec son lot de chagrins et de hontes. Les musiques additionnelles charrient également leur beat obsessif : marche inéluctable d’un temps qui est toujours compté.

La mort se vit ensuite dans le cadre noir de la vaste scène du GTP, qui est comme un cercueil, réduisant l’environnement vital des humains, donner la vie étant donner la mort. En fond de scène, se projettent des vidéos funestes (Nicolas Clauss) : corps en putréfaction, squelettes, ruines de villes bombardées. Elles imposent un cadre oppressif à des figures individuelles ou massives, organiques ou mécaniques, de morts ainsi annoncées. 

Sur le plateau, les corps produisent des compositions façon nature morte. De Giotto aux Préraphaélites, en passant par Michel-Ange, Le Tintoret ou Pontormo, le grand livre d’images du chorégraphe évite, parfois de justesse, l’écueil misérabiliste. Les danseurs dessinent des pietà et autres dépositions de croix, souvent deux à deux ou quatre à quatre. Les forces d’outre-tombe sont toujours masquées, chez Preljocaj : le mal est une énergie abstraite. Les figures de l’au-delà sont transcendantes et surplombantes. La symétrie est omniprésente et circule en « sous-corps ». Elle exprime la puissance létale de l’excès d’ordre, totalitaire, signifiant l’arrêt des échanges.

Les lumières (Éric Soyer), rasantes, étirent les corps à la manière de Goya, autre peintre du macabre. Les gestes, comme les corps, sont décomposés par les danseurs dont les membres se disloquent et débordent de leur propre cadre. Les costumes (Eleonora Peronetti) sont ajustés comme des suaires, des bandelettes de momies. Le deuil se porte à même la peau. Chaque danseur ne parvient pas à se décoller de son Autre, aimé et aimant, et tente de faire durer ses longues caresses enroulées, embaumement fait d’enlacement.

Côté bande-son, la vie prend la sonorité de la musique « actuelle », rock – métal hurlant, grinçant, saturé -, scandé par un beat stroboscopique. Il saisit des instantanés d’une vie électrique et artificielle, qui ne se repose jamais. La musique exprime la rage de vivre, l’énergie vitale brute qui fiche le corps dans le sol. Le vivant repose sur l’instable, les sautes d’humeur et d’amour, la course effrénée de la fuite.

La vie devant soi

La chorégraphie déploie alors ses gestes sophistiqués, son tricotage minutieux, sa micro-danse de hiéroglyphe. Les corps montrent leur capacité à tracer une géométrie sacrée, des triangles avec les bras cette fois, le coude étant un autre point de cristallisation de la Geste expressive de Preljocaj. Dans cette poétique de l’articulation, le mouvement se renforce depuis son point d’origine jusqu’à son point de finitude. L’articulation insuffle la vibration primordiale : ce mystère qu’est la vie. Des femmes oiseaux font du stretching avec la grâce, toute classique, de l’extension aérienne des membres. Les bras s’envolent vers le ciel, les cambrures font des volutes, la chair est sculptée dans le vif. 

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Le chorégraphe, en un design supérieur, explore avec ses danseurs le pouvoir figural des corps, à la recherche de la racine spirituelle de l’humanité. Une tension entre répétition et création renvoie au « s » de Requiem(s), la danse de Preljocaj déployant un espace propre de questionnement et d’enquête.

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