OPÉRA – L’Opéra Royal de Versailles nous transporte en Orient avec une version française assez rare de « L’Enlèvement au Sérail » de Mozart. Des dialogues parlés s’entremêlant aux airs lyriques ponctuent cette mise en scène poétique et féérique signée Michel Fau. Un casting lyrique francophone exceptionnel s’harmonisant à merveille avec un orchestre fougueux, dirigé par une main de maître par Gaétan Jarry. Un spectacle à ne pas manquer pour s’immerger le temps d’une soirée dans un conte des Mille et une Nuits au cœur du château de Versailles.
V.F : Version Féministe
L’Opéra Royal de Versailles nous offre une occasion unique de découvrir « L’Enlèvement au sérail », un des cinq grands opéras de Mozart, dans une version française rare et pleine d’esprit. En effet, cette adaptation se rapproche davantage du théâtre que de l’opéra traditionnel avec beaucoup de dialogues parlés rythmant les airs chantés.
La traduction des airs est l’œuvre du dramaturge et librettiste français Pierre-Louis Moline (1739-1820), insufflant à l’ensemble un esprit proche de l’Opéra-Comique. Si la traduction des dialogues originaux de Moline a malheureusement été perdue, Michel Fau et son assistant Sofiène Remadi ont relevé le défi d’en proposer des nouveaux, fidèles à l’esprit du XVIIIème siècle, tout en y ajoutant une pointe de féminisme rafraîchissante. Les femmes ne sont plus de simples demoiselles en détresse à délivrer du sérail, mais des femmes de caractère qui ne se laissent pas faire. Et pourtant c’était loin d’être gagné au vu de l’histoire.
S’évader…
Bienvenue dans le palais du Pacha Selim, en Turquie, où un noble espagnol au charme ravageur, Belmont, est prêt à tout pour sauver sa bien-aimée Constance, kidnappée par des pirates et vendue au pacha. Aidé de son ancien valet Pédrille, aussi futé que roublard, et de Blonde, la femme de chambre de Constance au caractère bien trempé, Belmont concocte un plan d’évasion pour tous les délivrer.
Mais voilà, c’était sans compter sur Osmin, le gros vizir barbu et amoureux transi de Blonde, qui, malgré un taux d’alcool dans le sang flirtant avec un coma éthylique à cause de Pédrille, fait capoter le plan. Heureusement pour eux, le Pacha aussi cool que l’est Michel Fau, se révèle être un grand cœur, et même si Belmonte est le fils de son pire ennemi, il laisse partir les deux couples vivre leur love story. Bref une comédie romantique à la Bollywood un brin rocambolesque avec une bonne dose d’humour.
…en s’évadant !
On retrouve avec plaisir la patte de Michel Fau, qui nous avait déjà enchanté avec sa transposition de « Zémire et Azor », un autre conte oriental rappelant la « Belle et la Bête », présenté l’année dernière à l’Opéra-Comique. À Versailles, le metteur en scène récidive avec brio. Les décors, composés des grands panneaux de toile peinte d’Antoine Fontaine, nous emportent dans un Orient somptueux, riche en couleurs et détails. Ils sont complétés par des costumes féériques signés David Belugou, évoquant à la fois l’univers du Marie Antoinette de Sofia Coppolaet le conte d’Aladin. Le résultat est très beau, et on est forcément transportés. On est émerveillé par chaque scène, que ce soit celle où les murs et les plafonds bougent pour emprisonner Constance ou encore celle des retrouvailles des amants accompagnée d’ombres chinoises. Une scénographie inventive très réussie.
Le cast du siècle
Dès les premières notes, l’orchestre de l’Opéra Royal placé sous la direction dynamique de Gaétan Jarry, plonge le public dans l’univers magique de Mozart. Le tempo fougueux et vivace nous tient éveillés tout au long du spectacle avec une touche d’orientalisme sublimée par les cymbales et les tambours.
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Sur scène, un casting de chanteurs lyriques nous offre une performance exceptionnelle : ils sont tous aussi bons chanteurs qu’acteurs.
- La soprano Florie Valiquette nous a éblouit dans le rôle de la douce Constance aussi ravissante par sa beauté que virtuose pour ses vocalises. Son air poignant et bouleversant « J’ai su te déplaire » est le clou du spectacle. Elle incarne avec brio une femme téméraire, prête à tous les sacrifices pour son amour. Ce n’est pas beau l’amour ? Et on ne peut sourire quand on sait que Constance c’est aussi le prénom de la femme de Mozart. Un rôle de grande tragédienne qu’elle maîtrise à la perfection et qui nous donne envie de la découvrir dans d’autres registres.
- Face à elle, le ténor Mathias Vidal excelle en Belmont avec sa voix puissante et claire emplissant l’écrin de la salle de l’Opéra Royal.
- Les seconds rôles ne sont pas en reste : le ténor Enguerrand de Hys est hilarant en Pédrille, ce personnage un peu roublard.
- Nicolas Brooymans campe un Osmin machiste et redoutable avec son timbre grave. Une force de la nature qui peut s’enfiler plusieurs litres d’alcool et être toujours à l’affût.
- Mais c’est surtout la soprano Gwendoline Blondeel qui domine la scène en Blonde, vêtue d’une robe rose et verte digne des confiseries Ladurée. Sa voix agile et colorée oscille entre les graves lorsqu’elle repousse Osmin lors de disputes jouissives pour le public, et la douceur lorsqu’elle cherche à amadouer son amoureux Pédrille.
- Face à eux, Michel Fau est impeccable en Pacha Sélim, révélant toute la subtilité de ses conflits intérieurs, passant du rôle de méchant dominateur à gentil avec aisance. S’il ne chante pas, il n’en est pas moins magnétique accaparant la scène jusqu’à l’apothéose finale sur un tapis volant.
Et oui, on est bien dans les Contes des Mille et Une Nuits…