AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueUn Bal Masqué à Marseille : quitte ou double

Un Bal Masqué à Marseille : quitte ou double

OPÉRA – À la frontière entre le théâtre à l’italienne et le grand opéra se situe Un Bal Masqué de Verdi. On trompe, on se trompe, on se cache et on s’attache : l’envers du décor et l’endroit du drame se mêlent, dans une mise en scène signée Waut Koeken qui met en mouvement cette dualité, dans l’espace scénique de l’opéra de Marseille. Alors, quitte, ou double ?

Le théâtre et son double

La mise en scène, signée Waut Koeken, haute en couleur et riche en perspective, reprend la version originale de Verdi, non rafistolée par la censure, qui aura transformé Gustave III, roi de Suède, en gouverneur de Boston. Elle exalte les dualismes parfois simplistes du livret par des options visuelles qui, des compositions scéniques aux décors en passant par les ambiances lumineuses, travaillent l’avancée dramatique en un constant pas de deux. L’idée est d’auréoler de références empruntées aux mondes de la scène chaque tableau : théâtre dans le théâtre, coulisse dans la coulisse, dispositif dans lequel le réel et la représentation tendent à fusionner. 

© Christian Dresse

Ainsi, le rideau se lève sur les appartements du roi, délimités par des drapés cramoisi de théâtre à l’italienne, au plissé hypnotique. Le roi manie deux figurines, sans doute la sienne et celle d’Amélia, extraites de la maquette du théâtre San Carlo de Naples. La scène de bal, au dernier acte, en reprendra la fresque du plafond (Cammarano), comme grandeur nature, mais la faisant basculer sur le mur de fond de scène, tandis que le drame touche le fond.

  • Les décors de Luis Carvalho opposent le faste néo-baroque de l’époque du livret, avec ses dorures, à la brute précarité de tréteaux et de planches, aux allures de potence. Ils en constituent l’inéluctable envers : autre dualité fondamentale, filée par la mise en scène, entre dévoilement et dissimulation, transparence et opacité – nombreuses scènes auréolées d’ambiances fumigènes. 
  • Les costumes entrent dans le jeu de conspirateurs versus d’éclaireurs, de masque versus de vérité de la partition.
  • Les lumières de Nathalie Perrier font claquer les projecteurs dans la nuit, suivant les coups de semonce de la musique, commuter les couleurs, chaudes ou froides, selon les tableaux, autre dualité fondamentale entre la mort et la vie, la tragédie et la comédie. 
  • De même, la danse (chorégraphies de Jean-Philippe Guilois), autre pas de deux, ou jeu de doubles, se fait macabre ou salonarde, les couples d’interprètes avançant inévitablement masqués.
© Christian Dresse
Plateau vocal, à l’équité

Les interprètes que sont les musiciens, chanteurs et instrumentistes, emboîtent ce même pas de deux.

  • La soprano Chiara Isotton en Amelia se sert de sa voix longue, charnue et posée à l’orée des forêts de la fosse, pour faire endosser les habits d’ombre et de lumière du drame.
  • La sombre enchanteresse Ulrica hante la mezzo-soprano albanaise Enkelejda Shkoda, familière d’un rôle qui se tient à la lisière du fantastique. Elle puise dans les eaux noires de son intériorité pour faire jaillir les sources sulfureuses de ses prophéties glaçantes.
  • Le rôle travesti du jeune page Oscar, que traverse la soprano Sheva Tehoval, oppose à ces rôles nocturnes une fine luminosité crypto mozartienne.

Le plateau masculin regorge des voix graves et intérieures chères au compositeur.

  • Le ténor-phare, Gustave III, est celui d’Enea Scala. Son verdisme d’école offre au plateau ses bouffées contrastées de démesure et de raison.
  • L’ami-vengeur Anckarström est habillé de pied en cape par le lourd et chaud manteau physique et vocal du baryton Gezim Myshketa.
  • Les rôles secondaires constituent une parfaite équipe de clé de fa – Gilen Goicoechea, Maurel Endong, Thomas Dear, Rémi Chioboli et Norbert Dol – dont les apparitions contrastées ou complices, aristocratiques ou ancillaires, viennent parfaire la géométrie du spectacle.
© Christian Dresse

Enfin, la direction musicale du chef italien Paolo Arrivabeni, grande figure aussi internationale que maison, assure de main de maître la mise en onde du plateau et de la fosse. Il contribue, en maître de cérémonie, à pousser l’intrigue en incluant et transcendant ses tensions majuscules. La matière sonore qui émane de la fosse tend parfois à absorber les registres médians des chanteurs, tant chaque musicien semble vouloir ajouter au drame sa patte noire, en tutti comme en soli déchirants (le violoncelle en duo avec Amélia dans l’acte II). 

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Les chœurs masculins, préparés par Florent Mayet, labourent les terres du plateau par les socs contondants de leurs petites notes stylisées, les pupitres féminins étant moins caractérisés. Réunis, ils produisent une même voix, suave, acide ou majestueuse, intégrée à l’intrigue. Le public applaudit généreusement avec de vibrants brava, bravo et bravi une œuvre élevée à la puissance par le grand jeu de miroir des forces scéniques réunies.

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