AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - LyriqueMakropoulos à Lyon : Affaire sensible

Makropoulos à Lyon : Affaire sensible

OPÉRA – L’Opéra de Lyon présente la sombre Affaire Makropoulos de Janáček, mise en scène par Richard Brunel, son directeur général, et dirigée par Alexander Joel. Une histoire de voix : normal pour un opéra ? Oui, mais pas que…

À corps perdu

Outre la première affaire d’héritage entre les Prus et les Gregor, la version proposée par Richard Brunel met davantage l’accent sur les multiples facettes d’Emilia Marty, alias Elina Makropoulos. Elle utilise cette affaire de succession pour rebondir sur sa propre obsession : retrouver la formule cachée par Jaroslav Prus avec le testament afin de retrouver une énième vie. La mise en scène interroge l’impact de l’âge sur la voix. En effet, si la beauté et l’intellect dominent, ils influencent aussi la maîtrise, la flexibilité et l’endurance de la voix. Alors que les effets de l’élixir de vie s’estompent, Emilia sent son corps et sa voix faiblir de plus en plus. Tentant en vain de chanter dès le début du spectacle, elle est prise de suffocations à chaque performance, jusqu’à s’évanouir. Chaque crise la plonge dans une introspection hallucinatoire, la renvoyant à son passé amoureux à priori, pas toujours rose.

© Jean-Louis Fernandez

Les fantômes de ses amants devenus seniors (interprétés par Gerhardt Comblet, Gérard Desmoulins, Patrick Malod, Jean-Claude Mossière et Jacques Pallas) viennent la hanter et la narguer. Les lumières distinguent les scènes du présent des flashbacks, parfois accompagnés de fumée pour évoquer le cauchemar. Montées sur deux niveaux, les pièces font office de salles de concert ou de loges. Un ballet de meubles errants traverse le plateau, dont deux miroirs de loge (l’un neuf et l’autre cassé par la chanteuse, symbolisant le reflet brisé), et deux pianos, renforçant les hallucinations de la chanteuse.  Probablement chanteuse durant ses nombreuses vies, le chant a toujours compté plus que tout pour elle, et elle considère son instrument comme son cœur. Emilia s’engage dans une course contre la montre, dont elle perdra de plus en plus le contrôle : lassée de tous ces tourments, elle nous interroge sur notre rapport à la vieillesse et décide de se donner la mort en brûlant la formule de l’élixir dans un des pianos, qui s’enflamme comme par magie.

© Jean-Louis Fernandez
Miroir mon beau miroir, qui a la plus belle voix ?

À la direction du plateau musical, le chef d’orchestre Alexander Joel dirige l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avec virtuosité et conviction, mettant en valeur la puissance requise pour cette œuvre. Les moments de tension sont notés par des jeux de nuances évidents dont les effets créent une projection saisissante.

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© Jean-Louis Fernandez
  • La soprano Ausrine Stundyte incarne une Emilia Marty impressionnante et charismatique. Malgré la perte progressive de sa voix, elle se montre comme une vraie force de la nature, autant dans le jeu scénique où elle se livre pleinement à la théâtralité et au côté mystérieux de son personnage, ses actions et gestes étant justes. Son chant, voluptueux et ample puise dans des graves profonds et puissants, ainsi qu’en aigus tranchants et porteurs d’une immense détresse, est troublant. Son impuissance marque une certaine jalousie envers la jeune Krista, jeune chanteuse prometteuse, symbole de jeunesse et de beauté, qu’elle méprisera jusqu’à la révélation de son identité. Restés sans voix, l’ensemble des protagonistes s’improvisent juges pour un interrogatoire oppressant pensant mettre à bout la jeune éternelle, mais celle-ci reste confiante et ferme.
  • À ses côtés, le ténor Denys Pivnitskyi incarne Albert Gregor, l’héritier potentiel, avec un jeu particulièrement théâtral et dynamique. Tenace dans sa quête du fameux testament grâce à Marty, il trouve en elle un réconfort désillusionné et tente de la séduire avec passion, en vain. Elevant la voix de façon engagée, parfois trop, la justesse reste fragile et la musicalité pas assez développée.
  • Jaroslav Prus, interprété par le baryton-basse Tómas Tómasson, est cruel et machiavélique. Son personnage, bourreau de La Marty, la tourmente pour obtenir d’elle une faveur sexuelle en échange de la formule Makropoulos. Sa voix sombre et profonde, bien que certains aigus paraissent parfois un peu rigides, s’étendent sans difficultés.
  • Maître Kolenaty, joué par le baryton-basse Károly Szemerédy, prend la parole en tant que médiateur entre les personnages, il impose son opinion avec une voix franche, même lors des révélations dramatiques.
  • Le baryton-basse Paolo Stupenengo apporte sa contribution en tant que médecin, intervenant lors des crises de la Diva et veillant à sa santé avec une voix affirmée.
  • Le comte Hauk-Sendorf, interprété par le ténor Marcel Beekman, apporte un moment de douceur sincère lorsque les deux anciens amants se promettent un amour éternel. Sa voix métallique et pincée ajoute une touche unique à ce passage.
© Jean-Louis Fernandez

Puisqu’on parle de jeunesse, les solistes de Lyon Opéra Studio brillent également dans cette production :

  • La jeune débutante et rivale de Marty, Krista, est interprétée par la mezzo-soprano Thandiswa Mpongwana au souffle juvénile volontairement innocent. Fervente admiratrice de Marty, elle change radicalement après le suicide de son amoureux Janek et cherche à se venger auprès de son ainée. La matière flexible et chatoyante s’étend sur de belles phrases vivantes et charmantes.
  • Janek, joué par le jeune ténor Robert Lewis, incarne un courage naïf, suscitant l’émotion par son suicide par pendaison. Son timbre, naturellement riche et homogène, s’étend avec facilité tout au long de ses interventions jusqu’à la fin tragique.
  • Vitek est interprété par le ténor Paul Curievici avec une voix légère et fluide. Enfin, les voix masculines du chœur de l’Opéra de Lyon interviennent à la scène finale, accompagnant la cantatrice vers sa triste voi(e), comme en écho à ses anciens amants.

Après une performance sans entracte, les artistes sont acclamés par le public lyonnais, dont le rôle-titre qui viendra saluer deux fois. 

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