DANSE – Le chorégraphe israélien Hofesh Shechter, figure incontournable de la danse contemporaine, rend un hommage vibrant à son pays d’adoption, l’Angleterre à travers sa pièce percutante « From England with Love ». Une lettre d’amour survoltée servie par sa jeune et brillante compagnie Shechter II, à découvrir au Théâtre des Abbesses.
Hofesh Shechter : nouvelle donne
Créée en 2021, à l’origine pour le Nederlands Dans Theater (NDT), cette création est interprétée par la talentueuse compagnie junior Hofesh Shechter II. Ce programme, lancé en 2018, a pour objectif de promouvoir la relève de la danse contemporains en réunissant des danseurs âgés de 18 à 25 ans. Loin d’être des simples « bébés danseurs », ces jeunes interprètes incarnent avec brio les multiples facettes de la jeunesse anglaise passant avec aisance d’enfants sages aux adolescents fougueux et rebelles. Leur énergie débordante et leur virtuosité technique font d’eux les dignes héritiers de Shechter assurant ainsi la pérennité de la compagnie.
Cette œuvre dans la même veine que « Theatre of Dreams », actuellement au Théâtre Sarah Bernhardt ne nous laisse pas indemne malgré une bande-son qui s’écoute sans bouchons d’oreilles.
Enfants sages : illusions perdues
Sur la scène du Théâtre des Abbesses, sept jeunes danseurs, 3 garçons et 4 filles, vêtus d’uniformes d’écoliers britanniques impeccables – chemise blanche, cravate rayée jaune et rouge, blazer bleu marine avec écusson – incarnent une image stéréotypée de la jeunesse anglaise, sage et bien élevée. On leur donnerait le bon dieu sans confession. Un halo de lumière vient éclairer leurs visages d’anges innocents. Ils bougent gracieusement leurs bras qui forment une couronne au-dessus de leur tête, sur la musique douce d’Henry Purcell. On a comme une sensation de bien-être à les voir bouger lentement leurs bras.
Ado rebelles : la tribu
Mais cette façade idyllique se fissure rapidement. Un changement brusque d’ambiance, marqué par une coupure de lumière, un bruit d’orage et l’agitation d’un danseur, plonge la scène dans un chaos saisissant. Une danse tribale sur une musique électronique frénétique souligne alors la décadence de la jeunesse anglaise, qui se révèle dans toute sa complexité, oscillant entre joie débridée et violence inattendue. Désabusés face au monde qui les entoure, ces adolescents autrefois sages et disciplinés, titubent et errent dans le brouillard. Poings levés, leurs corps se tordent et se contorsionnent dans des sauts de plus en plus hauts.
Les mondes des grands : prédateurs
Des scènes de camaraderie côtoient des tableaux d’une grande brutalité. Cette violence omniprésente s’intensifie au fil du spectacle, culminant dans une danse de plus en plus théâtrale. Parmi les images les plus marquantes, on retrouve une séquence de cannibalisme où des jeunes semblent dévorer les entrailles de leurs camarades, sans parler de la scène finale de fusillade où les danseurs miment les gestes de tirs les uns sur les autres pendant quelques secondes. Cette dernière scène, possible référence au massacre de Plymouth rappelle que la violence peut arriver sans prévenir.
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Sublimés par la lumière et la musique
Loin d’être là gratuitement, cette violence est sublimée par la mise en scène audacieuse de Shechter. Les lumières de Tom Visser entrecoupent les scènes avec le noir complet et des éclairages intenses qui rythment la progression des tableaux dans une ambiance oppressante. La musique, elle aussi, joue un rôle crucial : les notes baroques de Purcell se juxtaposent avec des musiques rock et électroniques, des chants d’oiseaux et même le bruit de vaisselle cassée. Mi-poétique, mi-dérangeant.
Après la fusillade, les danseurs dans leurs uniformes débrayés se regroupent sous une lumière blanche. Ils semblent complètement apaisés, comme après une catharsis collective. Une image finale qui invite le spectateur à réfléchir sur la nature de la violence d’une jeunesse désemparée.