AccueilActusActus - DanseMourad Merzouki : "Un rêve devenu réalité"

Mourad Merzouki : « Un rêve devenu réalité »

INTERVIEW – Mourad Merzouki fait partie des noms qui comptent dans la danse d’aujourd’hui. Depuis les clubs d’arts martiaux et les compétitions de Hip-Hop, son parcours a suivi l’histoire d’un mouvement qui a fait sa place au soleil. À l’heure où le Break-dance fait son entrée aux JO, Mourad Merzouki nous confie ses vues et ses valeurs : diversité, exigence, métissage et engagement. Et en plus, il est hyper sympa !

Qu’est-ce qui vous a donné votre vocation ?

Mon père m’a inscrit dès mon plus jeune âge à des cours d’arts martiaux, puis au cirque avant que je découvre l’univers fascinant du Hip Hop. À travers ces disciplines, j’ai trouvé un espace où je pouvais m’exprimer pleinement et me sentir valorisé, mais surtout exister au sein d’une société qui n’était pas toujours facile. Le spectacle vivant est alors devenu un moyen pour moi de rencontrer le public, de partager ma passion, d’apprendre au contact des autres et surtout d’exister tout simplement. C’est un rêve qui est devenu réalité. 

Quel a été votre parcours d’apprentissage ?

Je ne viens pas du tout d’une famille d’artistes, ni d’un environnement où la culture occupe une place centrale. Tout a commencé dans cette école d’arts martiaux où j’étais inscrit enfant. À la fin de chaque année, on préparait un numéro pour un Gala et les arts martiaux se sont mélangés naturellement avec les arts du cirque. C’est ainsi que, par le hasard de la vie, je suis devenu chorégraphe. 

Qui ont été vos maîtres et que vous ont-ils appris ?

Je n’en ai pas tant que ça car je ne regarde pas beaucoup la télévision et les spectacles. Cependant il y a des artistes qui m’ont profondément marqué. Je pense forcément à Charlie Chaplin et Buster Keaton, qui m’inspirent par leur génie créatif et leur capacité à raconter les maux de la société avec poésie, tendresse et justesse et ce avec des moyens simples. J’ai aussi cette responsabilité en tant que chorégraphe d’apporter une certaine légèreté aux spectateurs. Quand ils sont sensibles à mon travail, ça me donne envie de continuer. 

© Benoîte Fanton

Dans un registre plus contemporain, j’ai une grande admiration pour le travail de Philippe Decouflé. Son univers artistique, qui mêle étroitement cirque et danse à travers les costumes, me fascine par sa créativité. J’aime aussi les ballets du NDT (Nederlands Dans Theater), qui explore le mouvement à travers des danses presque tribales. D’une manière générale, je suis fasciné par toutes formes de danse qui célèbrent le corps mouvement. Dans un monde où la communication se réduit souvent à des textos, je crois que la danse nous permet de revenir au corps et à l’essentiel, grâce à des images remplies d’une énergie forte. 

À lire également : Stéréo by Découflé : les vies dansent !

Comment avez-vous monté votre Compagnie ? Quelle était l’intention et la portée de la nommer « Käfig » (la cage en arabe et en allemand), nom également du premier spectacle de la compagnie à Créteil ?

Avant de fonder Käfig, j’avais déjà fait mes armes dans le monde de la danse en créant la compagnie Accrorap avec mes amis. Mais en 1996, l’envie de porter ma propre vision artistique m’a poussé à me lancer en solo. C’est ainsi que naquit Käfig.

Le choix du nom « Käfig », qui signifie « cage » en arabe et en allemand, n’était pas anodin. Il reflétait le sentiment d’enfermement que je ressentais à l’époque, une sensation d’être contraint et limité car le hip-hop n’était pas encore reconnu. Mais au-delà de cette connotation négative, « Käfig » symbolisait aussi pour moi le désir de briser les barrières et de m’affranchir des conventions.

© Cie Käfig

Pour vous, dans votre parcours, et pour votre compagnie, qu’est-ce qui était le plus enthousiasmant et le plus difficile ?

Les premières années ont été loin d’être faciles. La recherche de subventions et la nécessité de défendre nos projets artistiques face à des institutions souvent sceptiques ont constitué un véritable défi. Le Hip Hop n’était pas encore reconnu à sa juste valeur, et il nous fallait trouver des arguments convaincants pour faire valoir notre vision.

C’est pourquoi ma nomination en 2009 en tant que directeur du Centre chorégraphique national (CCN) de Créteil et du Val-de-Marne fut un véritable tournant dans ma carrière. Cette reconnaissance inattendue, d’autant plus précieuse qu’il n’existe que 19 institutions de ce type en France, a constitué une consécration inimaginable. Elle symbolisait l’aboutissement de nos efforts et prouvait que le hip-hop avait sa place légitime dans le paysage culturel français.

Est-ce que vous avez ressenti un besoin de « légitimation » pour votre langage chorégraphique ?

Au début de ma carrière, j’ai effectivement ressenti un besoin de « légitimation » pour mon langage chorégraphique. La danse hip-hop, à l’époque, était souvent perçue comme un courant éphémère, confiné aux banlieues ou à une sous-culture. Il m’a fallu me battre pour que cette discipline et mon travail soient reconnus à leur juste valeur. Mon apprentissage de la danse s’est fait en dehors des sentiers battus, loin du conservatoire. Ce parcours atypique a parfois suscité des regards dubitatifs. J’ai dû faire face à des préjugés, mais je n’ai jamais renoncé à mes convictions artistiques.

© Benoîte FANTON

Mais, les temps ont changé. Aujourd’hui, les frontières entre les différentes disciplines artistiques s’estompent. La danse hip-hop, que j’ai toujours défendue, se mêle au cirque, aux arts visuels et à d’autres formes d’expression. Cette évolution est le fruit de trente ans de combat de la part de nombreux artistes. 

Justement, la place du Hip Hop dans les Conservatoires est un grand enjeu et projet ces derniers temps. Avez-vous suivi cette dynamique, y participez-vous et qu’en pensez-vous ?

J’ai été activement sollicité sur la question de l’intégration du hip-hop dans les conservatoires, un sujet qui suscite de nombreuses réactions et interrogations au sein de la communauté hip-hop. Si je suis favorable à l’idée que les conservatoires accueillent cette discipline, il est crucial de veiller à ce que son enseignement ne soit pas figé ou restrictif. Le hip-hop, par essence, est une danse de spontanéité et de générosité, et son enseignement doit refléter ces valeurs fondamentales. Le conservatoire, « la maison de toutes les danses » doit être un lieu d’ouverture et d’échange, où le hip-hop peut s’enrichir d’autres formes d’expression artistique et transmettre ses valeurs propres mais aussi permettre de travailler dans des conditions correctes. 

Que voulez-vous transmettre désormais ?

La semaine dernière, j’étais à Béziers dans le Sud pour promouvoir ma dernière création « Beauséjour » avec des danseurs aux parcours et aux cultures variés, reflétant la diversité de notre société actuelle. La richesse de notre pays réside dans cette mixité, qu’il est essentiel d’assumer. Je suis né en France et c’est mon pays. La France a une histoire riche et complexe, nourrie par des cultures et des influences multiples. Et c’est cette ouverture qui fait sa force et son identité. 

© Benoîte Fanton

Le message que je souhaite transmettre à travers ma danse est simple : osons la rencontre et le partage. Sortons de nos zones de confort et ouvrons-nous à l’autre. C’est en confrontant nos différences que nous nous enrichissons mutuellement et que nous faisons des miracles. Et la danse est le meilleur moyen de le faire, car elle a un vocabulaire universel qui transcende les frontières et les barrières linguistiques. Mon combat aujourd’hui, par le biais de ma propre histoire, est d’inviter l’autre à dépasser ses peurs et à s’ouvrir à l’autre.  

Vous avez chorégraphié “La Danse des Jeux” dans le cadre de l’Olympiade Culturelle, pour les Jeux Olympiques et Paralympiques. Pouvez-vous nous en parler ? D’où est venue l’idée, comment l‘avez-vous fait, quel a été son parcours, quelle est la suite ?

Dès que l’on m’a proposé ce projet, j’étais hyper content car l’idée d’intégrer la danse dans un rendez-vous sportif d’envergure mondiale représentait à la fois une reconnaissance formidable pour cet art et un défi stimulant. Mon challenge était de créer une chorégraphie simple de trois minutes, accessible à tous, quels que soient l’âge, le niveau de pratique ou la condition physique.

« La Danse des Jeux » se devait d’être simple à apprendre, tout en possédant une force expressive lorsqu’elle est exécutée par un grand nombre de personnes. Cette chorégraphie a été conçue pour être apprise grâce à un tutoriel vidéo, permettant ainsi une diffusion large et accessible à tous. Grâce à l’implication de danseurs ambassadeurs, elle a été apprise dans la plupart des écoles. 

Si vous étiez le Directeur Artistique des JO, quelle serait la playlist et qui seraient les artistes invités ?

À l’image de mon travail chorégraphique, j’opterais pour une programmation musicale riche et variée : un voyage à travers le monde, reliant les cultures et les générations. Je convierais des artistes et des compagnies du monde entier, célébrant la variété des talents et des expressions artistiques. 

Que pensez-vous de la place du Breaking aux JO ?

Je pense que la danse hip-hop a sa place aux JO, car pour moi c’est d’abord une discipline sportive, que j’ai commencé à danser au cours de vraies compétitions. Par la suite, j’ai amené cette gestuelle sur scène pour créer, et c’est devenu une danse chorégraphiée sur des scènes de théâtre. Sport et danse ne sont pas opposés, mais plutôt complémentaires. L’arrivée du Breaking aux JO va permettre de la faire découvrir à un public plus large.

Dans mes spectacles, je cherche à abolir les frontières entre la danse et le sport. Ce sont deux univers qui se nourrissent mutuellement. Pour mon spectacle « Boxe Boxe », je me suis inspiré d’une histoire personnelle. Ancien boxeur, j’ai appris d’abord des mouvements de boxe puis je les ai transformés pour les intégrer à ma chorégraphie. Le pas entre la danse et le sport est très petit. 

Pourquoi le Brésil dans le spectacle « Boxe Boxe » ? 

À l’origine, « Boxe Boxe » a été créée en 2008 pour des danseurs français. La même année, je rencontre ces danseurs brésiliens pour un autre projet. Pour le dixième anniversaire de la compagnie Käfig, j’ai eu l’idée de revisiter ce spectacle avec des danseurs brésiliens. La scénographie originale a été conservée, mais les musiques et la chorégraphie ont été profondément transformées pour refléter l’identité et la culture brésiliennes.

Quels sont vos autres projets ? Pouvez-vous nous en parler, nous les présenter ?

Je travaille sur une nouvelle création, « Beauséjour », qui sera présentée en première mondiale aux Nuits de Fourvière à Lyon en juillet prochain puis au MAC de Créteil en novembre. Ce spectacle réunit 14 danseurs sur scène pour explorer un thème fascinant : le corps vieillissant. J’arrive à un âge où je m’interroge sur la transformation physique que nous subissons tous et toutes au fil du temps. Comment notre corps change-t-il ? Comment notre façon de bouger et de danser évolue-t-elle ? Avec humour et décalage, je questionne les stéréotypes liés à la danse hip-hop, souvent associée à la jeunesse. Le danseur de hip-hop vieillit aussi, et sa danse se transforme avec lui. J’ai cherché à chorégraphier les attitudes et des mouvements qui reflètent la réalité des corps vieillissants.

À lire sur Ôlyrix : le spectacle des Arts Florissants, the Fairy Queen de Purcell, en collaboration avec des danseurs de la compagnie Käfig

Le dernier projet dont nous avions parlé avec vous consistait, au contraire, à faire danser de jeunes artistes, non-danseurs de surcroît… Que retenez-vous de cette expérience ?

Collaborer avec les Arts Florissants sur The Fairy Queen fut une expérience enrichissante qui m’a permis de repousser les limites de la création chorégraphique. J’ai eu la chance de mêler le hip-hop à de la musique baroque, bousculant ainsi les codes attendus et offrant au public une rencontre inédite entre deux univers artistiques distincts. Ce projet a été l’occasion pour les amateurs de musique baroque à découvrir l’univers du hip-hop et vice versa permettant ainsi un enrichissement mutuel mais surtout une ouverture vers une autre discipline. 

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