CONCERT – Fidèle parmi les fidèles du Festival Radio France Occitanie Montpellier, Evgeni Kissin proposait cette année au Corum de l’Opéra Berlioz un programme puisant aux sources du répertoire romantique allemand, complété par la musique de Prokofiev.
Chaque concert d’Evgeni Kissin est un évènement en soi. Au terme d’une déjà longue carrière de plusieurs décennies, il s’impose au public par sa démesure et sa technique superlative, mais aussi par l’émotion palpable que ses interprétations distillent. À Montpellier, le programme initial du concert fut un peu modifié en dernière minute : des œuvres de Frédéric Chopin à la place des Six Moments musicaux op.16 de Rachmaninov. Ouvrant la soirée, la Sonate pour piano n°27 en mi mineur op.90 de Beethoven offre la particularité de ne comprendre que deux mouvements. Evgeni Kissin s’empare du premier mouvement avec vivacité et une énergie passionnée toute emplie de tourments, avant qu’il ne fasse ressortir le caractère puissamment romantique et plus apaisé du second dans une déclinaison de couleurs imposante.
Chopin d’avant
Avec Chopin, Kissin est plus tendre et généreux, au sens premier du mot. Il laisse libre court à une musicalité affirmée et à son amour pour un compositeur qu’il sert depuis l’un de ses premiers concerts à Moscou en 1984 alors qu’il n’était âgé que de 12 ans ! Il a Chopin dans le cœur, et ça se sent.
Brahms in love
Les Quatre Ballades op.10 de Brahms ont été composées à l’été 1854, au moment même où le jeune compositeur de 20 ans développait un amour naissant pour Clara Schumann. Elles traduisent une intimité nouvelle, mais surtout une sensibilité tourmentée par le désir en cet amour impossible. Evgeni Kissin emporte l’auditeur dans ces tourments et ces réflexions tout en imposant une part de clarté et un naturel que son jeu libre et clair vient comme aérer.
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Proko-type
Défenseur zélé de la musique de Prokofiev, le pianiste russe d’origine porte à l’incandescence les quatre mouvements qui constituent la Sonate n°2 en ré mineur op.14. datée de 1912. Maître absolu de son instrument et de son pédalier, Evgeni Kissin déploie une énergie à faire vibrer les montagnes, se laissant guider par une émotion plus contenue au troisième mouvement (Andante) plus méditatif, pour enfin conduire un final éblouissant, haletant, en forme de danse diabolique et fascinante. La virtuosité implacable alors dispensée emporte l’auditeur dans une sorte de transe qui étreint.
Le public de Montpellier a réservé à Evgeni Kissin une standing ovation interminable, décuplée par un bis tellurique : la Marche martiale, extraite de l’opéra l’Amour des trois oranges de son cher Prokofiev.