Lettre à mon docteur

Cher Docteur,

Je suis venue vous consulter récemment au sujet de mon aversion profonde pour toute forme de musique classique. Vous avez eu l’obligeance de m’envoyer en cure musicale à Aix-les-Bains et de me prescrire une thérapie par l’exposition en assistant au spectacle « J’aim’pas la musique classique mais je me soigne », dispensée par vos trois confrères : Jean-François Vinciguerra, Éric Laugérias et Thomas Palmer.

Je vous remercie infiniment d’avoir confié le cas désespéré que je suis à leurs bons soins et je suis heureuse de vous raconter ici comment s’est déroulée cette thérapie.

Première partie prometteuse : un bain de jouvence

La directrice du festival lyrique d’Aix les Bains nous a accueillis en nous expliquant que nous étions là pour rêver et rire, ce qui m’a déjà tout de suite détendue. Quelle ambiance chaleureuse ! Mais place à la pratique ! Nous avons été invités à faire des vocalises qui ont réveillé en moi plein de douces sensations : j’ai senti instantanément l’effet bénéfique du chant dans mon ventre, dans ma tête et dans mon corps. Ma langue s’est détendue et un sourire est né. La thérapie pouvait commencer pour de bon !

Les trois artistes ont alors commencé leur spectacle. Sur scène, un piano, un pupitre et un faux camion jaune en carton. Le spectacle consistait en l’alternance de morceaux de musique classique auxquels des paroles avaient été ajoutées ou modifiées, et des reprises de vieux sketchs de Michel Serrault, Jean Poiret, Pierre Desproges, ou Boris Vian. 

© Marion Bonnet

J’ai réussi à me laisser embarquer par un tourbillon d’airs de Rossini, de Mozart, de Beethoven, et par la voix chaude et généreuse de Jean-François Vinciguerra. Visiblement, je n’étais pas la seule à avoir besoin d’une thérapie. Le pianiste aussi, puisqu’il nous a livré tous ses états d’âme pendant qu’il « clairedelunait » pour la 357ème fois, et nous a fait découvrir un Clair de Lune de Beethoven bien inhabituel et loufoque, faisant même des emprunts à « La Mer » de Charles Trenet.

Quel magnifique mélange des genres. Vous aviez raison docteur, la musique classique ça va avec tout, et on peut l’accomoder à toutes les sauces. Quelle joie de réentendre les « souvenirs de Bayreuth », dans lequel Messager et Fauré empruntent à Wagner. Quant à Boris Vian ou Francis Blanche, ils sont parfaits pour inventer de nouvelles paroles sur des airs de Mozart ou Rossini ! 

Je me suis laissée embarquer aussi par le Concerto pour clarinette de Mozart, et nos formateurs ont bien su nous démontrer à quel point Mozart sait transformer tous les soucis en joie pure et intense, en reprenant un sketch d’Alex Metayer. Ah, ce Mozart, à écouter sans modération sur son transat un verre à la main… Je suis maintenant une adepte !

Toute cette thérapie m’a redonné l’appétit du lyrique, et je n’aurais pas été contre l’idée de partager un petit tournedos avec Rossini ou une Charlotte aux pommes avec Massenet. 

Docteur, connaissez vous le sketch absurde de Poiret et Serrault dans lequel ils transforment Chopin en trompettiste ? Je vous recommande chaudement cette tranche de rigolade, qui donne envie de croiser Chopin et George Sand en bas d’une caserne militaire. Vous voyez, je suis sur la bonne voie, docteur, et même sur la bonne voix.

J’ai été conseillée aussi sur un nouveau médicament qui fait, dit-on, des miracles, que nos formateurs ont appelé « médication de Thaïs », et qui se prend essentiellement en ampoule. Très efficace, et donne envie d’ajouter des chorégraphies tango sur des airs d’opérettes. Cette thérapie avait tout pour réussir à me faire aimer le classique, docteur !

Deuxième Partie : Effets secondaires 

Alors par contre docteur, vous auriez pu m’alerter sur les effets secondaires qui n’ont pas tardé à se présenter et ont empêché la totale réussite de la thérapie. 

Tout d’abord, les chansons et les sketchs n’avaient pas vraiment de liens logiques les uns avec les autres, et j’ai souvent été perdue dans cet enchainement sans queue ni tête. Moi qui cherchais des réponses, docteur, il n’y avait pas vraiment de logique dans ce spectacle. Par exemple, au beau milieu d’un exposé sur Bach et Beethoven, sans crier gare se retrouve avec Brel, Boris Vian et une « vache à mille francs » (par ailleurs fort bien interpretée par Jean-François Vinciguerra), mais sans aucun rapport ni avec la musique classique ni avec ma prescription médicale.

© Marion Bonnet

Même si c’était un plaisir de réentendre des sketchs bien connus de Serrault, Poiret et Desproges, si le but était de donner envie au public de retrouver le gout de la musique classique, on aurait pu espérer que les sketchs aient été travaillés de manière plus dynamique et un peu remis au gout du jour, pour un effet plus efficace. 

Par ailleurs, il est vrai que ça ne doit pas être chose aisée de chanter du Cha Cha Cha sur l’air de la Marche Turque, mais Jean-François Vinciguerra ne nous a pas beaucoup aidés en compréhension avec une diction pas suffisamment claire. Cha cha cha, docteur, cha cha cha, Mozart méritait-il vraiment tout ça ?

Docteur, je vous avoue avoir été quand même très surprise sur le fait qu’Éric Laugérias a lu quasiment l’intégralité de son texte pendant le spectacle. N’y aurait-il pas eu un manque de préparation ? Éric Laugérias qui, je le découvre dans le BIS « Gloire aux genoux », est aussi chanteur ! Quel dommage qu’il n’ait pas chanté dès le début du spectacle.

À lire également : Off d’Avignon : Mozart et Köchel tirent leur chapeau !
Conclusion : Prescription à revoir

Cher docteur,

Malgré les efforts louables de vos confrères, je dois vous avouer que je ne suis pas tout à fait guérie de mon aversion à la musique classique. Certes, certains moments du spectacle ont eu des effets bénéfiques, mais le traitement s’est révélé à peine homéopathique face à la profondeur de mon allergie. Il semble que ma prescription nécessite une réévaluation.

Peut-être qu’un ajustement des doses, une meilleure articulation des sketchs, et une mise en scène plus vivante pourraient aider à rendre ce remède plus efficace.

Par ailleurs, cette expérience m’a fait réfléchir à un enjeu crucial : l’ouverture de la musique classique aux jeunes générations. Si nous voulons réellement ouvrir les cœurs et les oreilles des plus jeunes à ce genre musical, il nous faut des traitements plus percutants et modernes. 

En attendant une nouvelle prescription, je vais continuer à explorer les œuvres de Serrault, Poiret, et Desproges, en espérant qu’un jour, un traitement plus adapté parviendra à me réconcilier pleinement avec la musique classique.

Avec mes salutations distinguées,

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