OPÉRA – La version de concert-mis-en-espace proposée par les Chorégies d’Orange réunit en plateau une équipe aguerrie de chanteurs-relayeurs au grand coeur symphonique de la phalange niçoise. Le couple Alagna-Kurzak sous la baguette de Clelia Cafiero, transporte le grand public du théâtre antique dans la Rome de Puccini.
Antique, sans toc
Aucun jeu de décor et d’accessoire requis, dans cette version, si ce n’est la scène du théâtre antique elle-même, dont les grandes structures comme les sombres recoins sont amplement mis à contribution : statue impériale, escalier central, issues latérales, mur de fonds de scène et surtout grande surface scénique, arpentée avec force et détermination par les protagonistes. Les lumières de Vincent Cussey sont également de la mêlée, ainsi que les projections fixes de trois tableaux métonymiques des lieux dans lesquels se déroulent les actes : portrait de madone dans l’église du premier, peinture de nus dans le bureau de l’érotomane Scarpia au deuxième, et vue panoramique du château Saint-Ange, où la tragédie connaît son dénouement funeste. Le reste de l’action passe par quelques déplacement tout simples : Floria et Mario courent l’un vers l’autre pour mieux s’étreindre, le baron Scarpia avance vers sa proie, les chœurs se déplacent en double procession avant de se grouper, le jeune pâtre effectue sa transhumance de cour à jardin (Galia Bakalov), etc. L’austérité visuelle devient ainsi un atout : le regard est focalisé sur les personnages eux-mêmes et leurs interactions. Pas de mouvement parasites ici : à quelques encablures de Marseille, Tosca va droit au but !
Voix par voix : la liste des courses
Pour assurer cette grande course de relais dans le temple géant de l’opéra, il faut une distribution solistes de haute volée armés de mégaphones intérieurs, ayant à la fois une connaissance affutée de l’acoustique du lieu, et une habitude des bourrasques et des frasques du plein air.
Course du soleil – Aleksandra Kurzak (Tosca) est de cette trempe : cheveux et robes balayés aux vents du sud dont la voix, âpre dans le grave, de nacre dans l’aigu, traverse la scène d’un grand rayon rougeoyant, du levant au couchant.
Course vers l’abîme – Mario Cavaradossi trouve dans le ténor Roberto Alagna, l’homme de la saison, un invincible été, à même de recevoir, dans les creux et les pleins de son instrument, les transports des grands drames puccinien (E lucevan le stelle, mais pas seulement).
Course d’obstacle – Avec le Scarpia du baryton-basse Sir Bryn Terfel, la scène se met à couvert, dans l’ombre inquiétante de l’orchestre. Le baron semble tourner sur lui-même comme un lanceur de marteau, avant de projeter ses ordres dans un vibrato tyran.
Course de fond – Les autres rôles sont en ordre de marche : Angelotti de bronze (Jean-Vincent Blot), Sacristain d’airain (Marc Barrard), Sciarrone compassé (Jean-Marie Delpas), Spoletta affuté (Carlos Natale).
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L’orchestre, le vent dans le dos…
À l’avant-poste, la cheffe Clelia Cafiero prend son chronomètre pour crever l’écran acoustique, passer le mur du son et faire avancer tout un peuple romain, sonore et palpitant. Si les chanteurs ont leur rôle en tête, les instrumentistes luttent de manière acharnée contre les rafales de vent. Ils font de cette soirée, tout comme les solistes, un tremplin vers le bel canto : manière propre aux Chorégies d’être ce défi que la musique vivante relève contre les éléments.
Le public, tout aussi héroïque, véritable spectacle dans le spectacle, allume la grande flamme de l’ovation finale, quand chez Puccini, tout est accompli.