AccueilA la UneUnusual Puccini : le réveil des héroïnes !

Unusual Puccini : le réveil des héroïnes !

OPERA – À Buenos Aires, faire revivre dans un même spectacle Mimi, Giorgetta, Tosca, Manon en faisant parler leur conscience d’aujourd’hui sur leur propre destin d’antan : pari fou ? Pari tenu ! Giaccomo Puccini (en personne !) confirme.

Oh, quelqu’un dans l’assistance, quelqu’hurluberlu de critique, y a forcément pensé : « Et qu’aurait-il à nous dire aujourd’hui, il maestro Puccini, de ses propres créatures, à l’aune de la condition féminine et d’une “perspective de genre”, comme vous dites ? » Et bien justement, quitte à demander leur avis aux morts (car c’est bien le propos du spectacle), autant que je donne le mien.

Puccini : c’est moi !
Amor, à mort

Ah, mes chères héroïnes de naguère (mes pires ennemis, et j’en ai encore quelques uns, diraient de jadis !)… voyons : Mimi (dans mon éternelle Bohème), Giorgetta (dans Il Tabarro, ah, celle-là vous l’aviez oubliée !) Fiora (Tosca bien sûr), et Manon Lescaut, toutes plus que centenaires ! Mais je tiens à le rappeler : si je les ai fait souffrir, et ô combien, j’en conviens, et même mourir (jeunes qui plus est), c’est moins ma responsabilité que celle des auteurs qui en sont à l’origine : Henri Murger, Didier Gold, Victorien Sardou, votre défroqué d’abbé Prévost, c’est vous, diables de Français, qui avez inspiré mes librettistes de l’époque ! Alors faire revenir ces demoiselles pour dénoncer leur triste sort… Andiamo! Ouvrons le bal, qui ne sera pas celui des hypocrites ! Car oui, il est aussi question de danse… 

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Sur la critique du principe de rapiécer des œuvres éparses, fadaises ! J’ai moi-même composé mes opéras à partir d’airs que j’avais en tête depuis fort longtemps. Quand au lieu de cette recréation, vous ignorez sans doute que Buenos Aires accueillait quelques semaines seulement après leur première en Italie mes nouveaux opéras ! Certes, ce n’est pas le Teatro Colón cette fois-ci mais la salle Alejandro Casona. Théâtre de la communauté asturienne de Buenos Aires en mon temps, c’est une scène d’époque qui ne manque pas de charme !

Le petit théâtre du Centro Cultural Asturiano de Buenos Aires
In utero

La mise en scène, de la main de Virginia Santos, est sobre, digne et volontairement assez abstraite pour s’accommoder des situations géographiques et matérielles dans lesquelles se trouvent mes héroïnes en exploitant toutes les ressources de la salle : sa travée centrale est ainsi une espèce de source, une ode aquatique dédiée à ma musique ! La renaissance de la conscience de celles dont j’ai fait des victimes de l’autorité, de la perversité, du pouvoir et parfois de la lâcheté des hommes, s’incarne dans un corps féminin gracile, à terre, en contrebas de la scène, au gré des eaux maritimes ou du liquide amniotique, prenant vie dans un voile qui peut aussi bien être vu comme une vague revitalisante que comme un placenta nourricier. 

Incarnaciòn

Ce personnage de la « Resurrecta » (la Ressuscitée), dansé avec grâce par Silvana Safenreiter (qui lui prête aussi une voix d’actrice ferme et déterminée, sans concession), est la conscience morale commune à mes quatre héroïnes chantées par une seule et même soprano lyrique à laquelle on doit l’idée de ce spectacle : Fiorella Spadone. La patronne, pardon la matrone, puisqu’elle en assume la direction artistique et la production générale, c’est elle ! La versatilité de sa voix haute perchée, la couleur éthérée et lumineuse de son timbre, appuyant des projections très puissantes, m’ont fait réfléchir au bienfondé de son projet. Car c’est sa personnalité et le grain de sa voix qui m’ont convaincu, au-delà des différences marquant les jeunes femmes qu’elle interprète avec force conviction, de la pertinence de leur rapprochement face à leur destin funeste réciproque et aux diverses formes de cruauté dont elles sont victimes.

Hablan Español ?

Elle est la voix lyrique de la lutte in extremis, du refus, de l’entêtement, de la dignité, encouragée et entretenue par les mouvements explicites et les paroles lucides de son double, la Resurrecta, qui en appelle à la mémoire, au respect ou à la vengeance. Me restera longtemps à l’esprit ce rire silencieux de jouissance, si sardonique et vengeur, alors que le poignard qu’elle tend à Tosca permet à celle-ci de se libérer de l’emprise de l’infâme Scarpia. Pour autant, le sang versé, d’où qu’il vienne, y compris de la plus mauvaise veine, n’est-il pas toujours une défaite de l’humanité ?    

Hommes de bien

La prestance théâtrale et le rayonnement vocal de cet aréopage féminin et féministe (ma propre mère en eut été si fière !) trouve dans la gente masculine des alliés – et c’est heureux ! – dans leur quête artistique. Le pianiste Damián Roger, studieux et précis dans ses intentions, honore mes partitions de son jeu sobre et rigoureux, quoique parfois un peu austère, mais toujours attentif aux solistes en scène : la mélodie avant toute chose ! Les voix masculines rivalisent d’harmonie avec celles des femmes, chantée ou parlée. Le ténor paraguayen Reinaldo Samaniego donne avantageusement le change à Fiorella Spadone. La voix est ample, vigoureuse, enflammée, d’un timbre chatoyant qui respire et fait vibrer le lyrisme naturel de ma langue. Son confrère de tonalité, Facundo Dominguez, déploie ses élans poitrinés avec des projections assez hautes et claires et une articulation ouverte. Le baryton Gastón Meza, enfin, marque de son sceau le velouté de ses intonations : la chaleur et la souplesse de son timbre le rendent agréablement audible tandis que ses qualités d’acteur alimentent la crédibilité de ses personnages, y compris, si besoin est, sous l’angle de la perversité ou de la cruauté.

Le cast. ©Carlos Villamayor

Que ces jeunes femmes se rebellent face au caractère injuste ou ignoble de leur destinée, précipitées qu’elles sont dans les griffes du mâle ou du Malin, quoi de plus naturel ? Les temps changent cependant : l’opéra se questionne lui-même, mes œuvres d’antan se remettent d’elles-mêmes en cause et c’est sans doute là, dans ce refus de la mort, moins un signe de déclin que la preuve d’une soif de vitalité.                           

Votre bien dévoué,

Giacomo

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