CONCERT – À la Roque d’Anthéron, le pianiste argentin Nelson Goerner présente devant un public conquis un programme mêlant Haendel, Schumann et Liszt, avec une vision d’un grand raffinement.
Le pianiste argentin Nelson Goerner place au cœur d’un programme dense les Davidsbündlertänze de Schumann ; une œuvre qui, située ainsi entre Haendel et Liszt, nous a fait penser à un autre opus du compositeur allemand : L’Amour et la vie d’une femme, cycle de Lieder qui balaie tout un pan de l’histoire d’une héroïne anonyme. Avec ce concert, Nelson Goerner semble signer son pendant masculin et pianistique.
Enfant prodige : piano HPI
Avec la Chaconne en sol majeur de Haendel, Nelson Goerner s’attaque à un exercice de style qui déploie des variations de plus en plus complexes et enlevées, à partir d’un thème relativement simple. Le pianiste l’aborde vraiment comme un jeu sérieux, avec une application d’enfant sage mais qui ne manque pas d’esprit : plus que des devoirs bien faits, la Chaconne annonce la virtuosité qu’il déploiera plus tard dans le programme. Nelson Goerner prend le temps, dans les pages en mineur, de s’écouter et de travailler le son ; tout ça pour préparer une fin brillante, fastueuse et joueuse, comme un enfant surdoué qui s’amuserait d’un devoir trop facile.
Ado : mineur
Les Davidsbündlertänze seraient donc son adolescence ; et avec leurs dix-huit pièces variées, colorées et pleines de vie, Schumann y parcourt une palette expressive d’une grande finesse. On retrouve dans le jeu de Nelson Goerner, dans les pages intérieures et méditatives, un rapport unique au temps qui se déploie avec une lenteur poétique. Ces pièces sont comme un être qui se découvre au fil des pages, explorant toutes les facettes qui le composent ; et le pianiste abandonne bientôt la lumière pour une deuxième partie plus tendue, où le jeu se charge de graves jusqu’aux emportements lyriques du n°15 (Frisch). Mais d’un bout à l’autre de ce récit d’apprentissage on retrouve toujours l’élégance du jeu, l’économie de moyens, et même une sorte d’aristocratie du style, jamais chargé d’un geste superflu.
La force de l’âge
Avec Liszt, le programme trouve son aboutissement, et le jeu sa maturité. Après les errements adolescents, voici une Ballade n°2 en si mineur (S.171) et un Sonnet de Pétrarque n°104 qui demandent d’avoir tous ses moyens. Mais dans les deux pièces, Nelson Goerner refuse l’épanchement : il y a du sentiment, mais maîtrisé ; il y a du chant, mais surtout un équilibre des plans sonores et une précision des traits. Tenue et rigueur maintiennent l’ensemble, dans un répertoire qu’on connaît souvent autrement plus expansif et démonstratif.
La Valse oubliée n°2 (S.215) et la Rhapsodie hongroise n°6 (S.244) résonnent quant à elles comme un regard léger et ironique sur la vie : le lyrisme débordant cède la place à la distance amusée, à l’impertinence même qui règnent dans cette valse parodique et dans cette rhapsodie dansante. Comme si, la vie passant, le sérieux n’était plus de mise. Le son de Nelson Goerner y est vibrant, profondément habité et incarné : de toute la soirée, c’est dans cette dernière pièce que le pianiste laisse éclater ses moyens – pas seulement techniques, mais essentiellement expressifs.
Bis de l’au-delà
Que peut-il bien y avoir après ce Liszt de l’âge adulte ? Après ce sommet de maturité technique et musicale ? Pour Nelson Goerner, il est temps de plonger dans un autre monde, lointain et mystérieux, avec deux Pièces lyriques, op.43 de Grieg : Au printemps et L’Oisillon. Des moments de poésie pure, ramenant le pianiste à un état quasi méditatif du jeu ; où les couleurs deviennent éthérées, lumineuses, regardant vers le son pur plutôt que vers le sentiment. C’est sans doute là que Nelson Goerner séduit le plus, et le public ne s’y trompe pas.
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Là où L’Amour et la vie d’une femme s’arrêtait à la mort, ces amour et vie d’un homme semblent faire un pas au-delà ; dans cette région que les mots ne pouvaient pas décrire, mais que les sons savent évoquer.
Ce concert sera diffusé sur France Musique le 5 août 2024 à 20h.
Demandez le programme !
- G.F. Haendel – Chaconne en sol majeur HWV 435
- R. Schumann – Davidsbündlertänze, op.6
- F. Liszt – Ballade n°2 en si mineur S.171
- F. Liszt – Sonnet de Pétrarque n°104 (extrait des Années de pèlerinage, 2ème année)
- F. Liszt – Valse oubliée n°2 en la bémol majeur S.215
- F. Liszt – Rhapsodie hongroise n°6 S.244