DANSE – Le théâtre de l’Archevêché, haut lieu festivalier aixois, cède sa scène, au cœur de l’été, au travail du chorégraphe Angelin Preljocaj, directeur charismatique du Pavillon noir, centre de création chorégraphique national : une occasion festive, complice et généreuse, de mettre en perspective son travail de création, de 1989 (Noces) à 2023 (Torpeur), en passant par 1995 (Annonciation).
Hiéroglyphes et origami
Il y a dans l’iconographie d’Annonciation et ses poses animées par le geste dansé quelque chose de profondément doux, serein et tendre. Marche lente, index pointé vers le ciel, envol des bras, quasi-lévitation de la vierge, piétas fugitives, enroulements fœtaux : autant de postures qui dessinent les corps de la vierge et de l’archange. La grammaire gestuelle rappelle la statuaire grecque, ou l’écriture hiéroglyphique. Elle enveloppe la chair de transcendance : le divin dans la peau. Les têtes se posent sur le ventre ou l’épaule de l’autre, comme un germe de vie, une offrande sacrée.
Dans Torpeur, les portés étranges de six duos caressent l’œil de leur origami charnel : lent écoulement des corps dans le liquide amniotique de la scène. Les compositions par trois déposent sur le sol leurs enlacements intimes. Les corps s’effeuillent, s’aiment et se cherchent dans le silence fixe de la musique, comme s’ils posaient pour ce sculpteur de regards qu’est le public. Le cercle, figure géométrique idéale, accueille dans le giron du lâcher prise, le mouvement éternel et originel de la danse.
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Scène de ménage
Mais il y a aussi de la violence dans l’Annonciation : celle de l’invasion du corps de la vierge (Florette Jager) par le divin (l’ange Clara Freschel) : postures acérées, articulations étranges, manipulations par une main prédatrice, jusque dans l’orifice de la bouche.
Dans Torpeur, l’érotisme démultiplié plie et déplie les êtres, dans une bacchanale digne d’une succession de figures de Rorschach, pendant que les corps enchaînés les uns aux autres sont pris dans les rets du sommeil, de l’épuisement et de l’absence.
La musique balkanique et tradi-moderne de Stravinsky, Noces, assurée par une bande-son saturée de présence (Roland Hayrabedian, le Chœur contemporain et les Percussions de Strasbourg…), semble chorégraphiée par Angelin Preljocaj : note à note, pas à pas, coude à coude, corps à corps. Un souffle violent, primitif et brut en émane et s’insinue dans tous les plis de la danse. Le banc, public, davantage partenaire masculin qu’accessoire scénique, est ce pilori auquel est finalement clouée la poupée de chiffon – une pour chacun des cinq couples – extension symbolique de la femme mariée, sous les coups de boutoir de la musique.