Mission Tosca aux arènes de Vérone

OPÉRA – Les arènes de Vérone, c’est mythique ! Pour garnir son édition 2024 de grands opéras, le festival italien a vu les choses en grand, pour rendre hommage à un grand compositeur, disparu il y a 100 ans : la Tosca de Giacomo Puccini. Un ange était là, sur la scène. Il nous raconte…

Mon premier est le chef de la milice des Anges.

Mon second combat le dragon, le terrassant avec son épée.

Mon troisième a un mont à son nom en Normandie.

Mon tout est celui qui pèse les âmes qu’il est chargé d’escorter dans l’au-delà.

Je suis, je suis… l’archange Saint-Michel, chargé d’une mission divine. Je suis le messager privilégié entre le Ciel et la Terre, combattant les forces du Mal, juge devant l’éternel mais aussi protecteur, cumulant les fonctions d’Ange-gardien.

Ce soir, ma mission est toute particulière : celle de juger les personnages d’un opéra mondialement connu appelé Tosca, écrit par un compositeur italien dont on fête le centenaire de sa mort, Puccini. 

Descendu du château Saint-Ange, je suis l’élément essentiel du décor ; j’attends mon entrée en scène derrière le mur d’enceinte d’une Arène, coincé entre un pharaon, un sphynx, des colonnes grecques et d’immenses roses.  « Oh, c’est Aïda, le Barbier de Séville » s’exclament les passants. Me voici donc au Festival de Vérone, en alternance avec d’autres productions. 

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Bientôt, une grue me soulève et me dépose sur l’immense scène de l’amphithéâtre romain. Un voile noir me recouvre. Mon épée est pointée vers le centre de la scène.  J’occupe tout l’espace, mes mains délimitant les contours de la scène.  Autour de moi sont placés les autres éléments du décor de la mise en scène imaginée par Hugo De Ana : équipements militaires, objets religieux, tables d’apparat. Tout le monde s’active : soldats, garçons d’autel en costumes d’époque, évêques revêtant leur soutane et mitre cérémoniales. On vérifie le canon qui tirera réellement vers le public au moment où on découvrira la fuite du prisonnier de la prison St-Ange. Cette mise en scène opulente et sombre mêlant religion, violence politique et désir est une sorte de thriller dans la Rome papale des années 1800. 

© Ennevi Photo

Une certaine excitation est palpable parmi les milliers de spectateurs présents : ce soir,  les chanteurs sont parmi les plus grands de la scène lyrique et leurs prestations sont attendues avec fébrilité.

Caché derrière mon voile mortifère, j’écoute le drame qui se noue. Pourquoi donc cet homme appelé Angelotti s’est-il réfugié dans l’église ? Pourquoi Floria est-elle aussi jalouse et fait tout ce cinéma pour une histoire de yeux bleus et non noirs sur une peinture que réalise son amoureux Mario Cavaradossi ? Qui est cet homme qui pénètre avec fracas et fait tomber le tableau ? Le voile me recouvrant se soulève et je rentre alors en scène : me voici prêt à combattre Scarpia, le chef de la police pontificale qui traque tous les républicains. Les forces terrestres contre les forces divines. Homme de pouvoir, arrogant, corrompu, Scarpia cherche Angelotti et il est persuadé de la complicité de Mario. Interprété par Luca Salsi, Scarpia est bien déterminé à posséder Tosca. Sa voix puissante de baryton, ample, au phrasé large, à l’accroche solide déploie un chant luciférien reflétant toutes les nuances de perfidie et de cruauté. 

© Ennevi Photo

Je suis impressionné par la scène grandiose du Te Deum qui se déroule sous mes yeux dans laquelle les figures mortelles d’anciens prélats s’élèvent à la gloire de l’Eglise de Rome, accompagnée d’une foule de pénitents déambulant dans les fumées d’encens.

Je comprends alors que le combat sera sans merci. Floria devient le jouet des désirs et de la perversité de Scarpia. Impuissant, je regarde Mario se faire torturer. Je ne peux pas intervenir alors c’est Tosca qui va anéantir son bourreau et aura le courage de le poignarder pour se soustraire à l’odieux marchandage proposé pour sauver son Mario. 

© Ennevi Photo

Je suis aux anges, subjugué par la voix d’Anna Netrebko. De sa voix ronde et ductile, la cantatrice dessine le portrait d’une diva incarnée et crédible, sans jamais tomber dans l’exagération. Sa voix puissante, capable de dépasser l’orchestre sans effort apparent, fait qu’on oublie qu’on est en plein-air. Elle catalyse l’attention et l’enthousiasme du public et aborde son rôle comme une comédienne en pleine possession de tous ses moyens vocaux. Je suis complètement bouleversée par le sublime « vissi d’arte » chanté avec une expression de douleur sincère et  émouvante, ébloui par la nuance « piano » du départ, si difficile à émettre dans un espace aussi gigantesque.

Une fois Scarpia terrassé, je baisse l’épée sans me douter de l’imposture : la véritable exécution de Mario et l’arrestation de Floria. 

Yusif Eyvazov prête sa voix de ténor tout aussi puissante, au timbre lumineux, aux aigus faciles et aux mediums chaleureux pour incarner un Mario Caravadossi d’avantage lyrique et émouvant qu’héroïque. Il atteint un pic émotionnel dans « E lucevan le stelle » exprimant en demi-teinte sa désillusion par rapport à son propre salut qu’il signifie aussi à travers son jeu scénique. 

© Ennevi Photo

« O Scarpia, avanti a Dio » s’écrie Tosca d’une voix puissante comme une foudre divine. 

Alors, je serai son Ange-gardien pour l’accueillir en mon sein et lui ouvrir les portes du Paradis dans un coup de théâtre final où, croix à la main dans l’obscurité totale, elle s’élève dans les cieux. Le public aux anges réserve une standing ovation aux trois chanteurs mais aussi à l’ensemble de la distribution de grande homogénéité et de qualité tout comme à l’orchestre et les chœurs de la fondation des Arènes de Vérone, dirigé d’une main de maître par Daniel Oren. 

Quant à moi, je pars vers une autre mission tout en fredonnant « Saint-Michel et Saint-Raphaël, Je suis née un dimanche, un dimanche un midi… » 

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