CONCERT – Montez du métro Anvers vers le Sacré-Cœur, longez le funiculaire, et à mi-pente, tournez à gauche. Très vite, vous croisez un escalier qui aboutit près de la basilique. C’est la rue Chappe, dont le mur de gauche dissimule un endroit assez secret : les Arènes de Montmartre, taillées au 20e siècle dans le flanc de la butte, ombragées par un tilleul et des ifs, avec en fond de scène des immeubles parisiens.
C’est ici que Pierre Mollaret, chanteur pop et citoyen montmartrois, a eu l’idée, il y a cinq ans, de créer les Arènes lyriques. Proposer des concerts en plein Paris au moment où partout en France les festivals happent l’attention, ça n’allait pas de soi. Pourtant, loin de la facilité des « concerts pour touristes », les Arènes lyriques ont su jouer leur partition singulière, trouver leur public et le fidéliser.
Cette année, les Arènes lyriques proposent dix concerts répartis sur quatre week-ends, tous avec le même programme. Le plateau se compose de deux chanteuses lyriques, d’un pianiste et des dix-sept musiciens de l’orchestre Ostinato, qui œuvre depuis trente ans à la formation et à l’insertion professionnelle des jeunes musiciens classiques, emmenés par la violoniste Noemi Gasparini.
Carte postale
En cette douce soirée d’été, l’amphithéâtre est plein : près de 400 personnes, assises sur les coussins distribués à l’entrée, forment un demi-cercle autour de l’orchestre déjà installé, en jouissant d’une excellente visibilité. Certaines ont un verre à la main : un passage près de la scène débouche sur une salle de verdure où l’on trouve un bar.
Une sonorisation amplifie les musiciens, alors que l’espace fermé permettrait de s’en passer. A plusieurs moments, entendre le son d’un soliste placé à gauche venir de sa droite sera inconfortable, mais on ne peut en faire grief aux organisateurs : à cent mètres d’ici, au pied du Sacré-Cœur, des milliers de touristes parlent, chantent, crient, applaudissent les bateleurs. Ces arènes ont beau être une oasis, elle se trouve au sein de la grande ville.
Mozart d’été
Le mouvement lent du Concerto pour piano de Poulenc ouvre le concert. Ainsi isolé, il a un faux air de musique de film. Puis Noémi Gasparini prend la parole et annonce un concerto de Vivaldi – non pas un des cent qu’il a écrits pour son instrument, mais une transcription d’un concerto pour viole d’amour. On est encore dans les prolégomènes (longue préface), l’orchestre manque de rondeur et d’homogénéité, ce que le faible effectif accentue. Mais avec la Méditation, extraite du Souvenir d’un Lieu cher de Tchaïkovsky, on entre dans le vif du sujet : entraîné par le jeu juste, expressif et vivant de la soliste, le son est plus généreux, la palette s’élargit et l’émotion affleure.
Viennent alors quatre moments lyriques. Clara Barbier Serrano chante l’air de concert de Mozart Vorrei spiegarvi, qui est en réalité un duo qu’elle tisse avec Maud Texier, la très bonne hautboïste de l’orchestre ; puis l’air Regnava el Silenzio de Donizetti, où elle est présente, convaincante, on se sent comme à l’opéra. Olivia Doutney lui succède, soprano elle aussi, mais au timbre et à la personnalité très différents. Dans la mélodie avec orchestre de Rachmaninov Zdes’ Khorosho (op.21 n°5) comme dans l’air tiré d’Idoménée de Mozart, une justesse qui prend parfois la clef des champs fait du tort à de grandes qualités.
De Montmartre au Père-Lachaise
Episode piano ensuite. Quelques mesures de la mazurka op.17 n°4 suffisent à Ionah Maiatsky pour prouver que Chopin est son pays. Il y reste donc, cette fois accompagné de l’orchestre, pour le 3e mouvement du 2e concerto. Jeu propre, raffiné, fluide, bien phrasé, dans une conception très chambriste, mais peut-être trop : un concerto n’appelle-t-il pas plus d’envergure et d’autorité ?
La nuit est tombée, des lampions ajoutent aux éclairages une touche festive, et l’on passe à tout autre chose : Noémi Gasparini, italo-mexicaine née à Paris, ancienne élève de Jean-Marc Philips au CNSM, n’est pas seulement violoniste, elle est aussi membre de deux groupes de musique mexicaine en Amérique. Seule dans la pénombre, s’accompagnant de pizzicatos sur son violon tenu comme une guitare, elle chante Gracias a la Vida de Violetta Parra, et c’est un pur moment de grâce. Le piano, le violoncelle et la contrebasse la rejoignent pour Cucurrucucu Paloma, autre grand classique de la variété mexicaine. Et le plus naturellement du monde, suit un air d’opéra vénitien du 17e siècle.
Le moment du finale est venu et la surprise est de taille : un tube, certes, mais le plus élaboré, le plus profond et le plus dramatique qui soit : la Mort d’Isolde, tirée de l’opéra Tristan et Isolde de Wagner. Cela demande normalement cent musiciens, il faut vraiment n’avoir peur de rien ! L’audace paye : emporté par le génie de Wagner et la force dramatique d’Olivia Doutney, l’orchestre donne son meilleur et sonne comme une grande formation. C’est intense et beau, le public touché au cœur sait manifester sa reconnaissance.
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Classique à ciel ouvert
Pour le bis, quoi de plus logique que de rester fidèle à la chanson sud-américaine et d’honorer Dalida, qui vécut à cent mètres d’ici pendant vingt-cinq années ? C’est donc par un de ses succès, Histoire d’un Amour (de Carlos Eleta Almarán), arrangé pour toute la troupe, que se clôt le concert – mais pas la soirée, car il est ensuite possible de rencontrer les musiciens au bar resté ouvert.
Le charme a opéré, c’est un public extrêmement satisfait qui quitte peu à peu le site, comme à regret. Les styles, les formations et les époques divers l’ont fait voyager parmi maintes émotions et sensations. Les imperfections pèsent fort peu lorsque des musiciens se sont donnés pleinement, qu’ils ont communiqué avec vous et que le concert a été un authentique moment de partage. A la « parenthèse enchantée » des Jeux olympiques, cette soirée a ajouté une belle pierre.
Il faut aussi souligner que le public est bien plus jeune que le public habituel de la musique classique. Avec maestria, les Arènes lyriques rendent le concert classique accessible au profane sans le dévoyer, assouplissent ses codes sans les casser. Le lieu séduisant, le programme diversifié et bien pensé, la proximité et la convivialité font partie des ingrédients de cette soirée romantique, chaleureuse et décontractée. Dernier concert le 17 août : c’est une ascension de la butte Montmartre qui vaut la peine !