FESTIVAL – Le Festival Ravel a lancé son édition 2024 en grandes pompes, avec un programme 100% Ravel espagnol. Les Siècles dirigés par Pierre Bleuse en tête d’affiche. De quoi lancer la quinzaine Ravel, sur les terres natales du plus basque des musiciens français.
Aye ! Que aventura lamentable ! Esas son las palabras mas conocidas de una de las obras líricas mayores de Maurice Ravel, cuya música ha sido muy inspirada por la cultura español. Cuando uno de los mejores – oulah ! Pardon… dis Siri, repasse en français s’il te plaît !
Voilà, beaucoup mieux. En même temps, il faut dire qu’elle sonnait drôlement espagnole cette soirée d’ouverture du festival Ravel, dans la ville natale du plus basque des compositeurs français. Dans la rue, aux terrasses de café, dans la queue du marchand de glace et à la réception de l’hôtel, on entend parler espagnol. Alors, quand en plus on part pour un concert de deux heures intitulé « Ravel et l’Espagne », comprenez qu’on soit un peu perdus dans les langues.
Pied à terre
Ravel, lui, n’avait pas besoin de faire sa LV2 dans la langue de Cervantes pour la parler couramment, parce que la musique passe par ailleurs. Elle traverse la douane à Biriatou pour venir squatter l’imaginaire des frontaliers, infusant ses rythmes, ses couleurs et son esprit dans tout ce qui se produit là. Un pied en France, dans le raffinement très « Belle époque » d’une musique ré-inventée par Fauré et Debussy, et l’autre occupé à battre l’ocre du sol pour soulever la poussière et la fièvre des danses ibériques. Le programme de ce soir avait ces deux empreintes fermement ancrées dans le pavé de l’Église St Jean-Baptiste.
Mais pour marcher dans les pas de Ravel, dans son Luz natal, il fallait évidement de sacrées pointures. Bertrand Chamayou, récent directeur en solo du festival n’a pas eu besoin de courir les boulevards pour trouver chaussure à son pied : Les Siècles, orchestre passé maître dans la musique du début XXème venaient de monter un programme 100% Ravel et l’Espagne. Du sur mesure…mais voilà qu’en mai dernier, leur chef François-Xavier Roth, s’est auto-saboté, tirant une balle dans le pied de tous les musiciens non-permanents qui voyaient leur gagne pain s’enfuir avec la chute sur fond scabreux de leur tête de gondole… Oh, la pitoyable aventure…
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Pied levé
Qu’à cela ne tienne, quasi au pied levé, Pierre Bleuse a sauté dans son frac pour remplacer Roth au pupitre, et sauver le concert. Et voilà un orchestre (qu’on imaginait moribond) transfiguré par l’énergie et le sourire désarçonnant d’une personne compétente, heureuse d’être là. Un mec juste bien dans ses baskets.
- La musique « espagnole » de Ravel swingue, comme les Malagueñas et autres Habaneras de la Rhapsodie espagnole ? Pas de problème, Pierre Bleuse est un rythmicien hors-pairs, engageant le corps tout entier dans un break-dance ravélien électrisant.
- Besoin de touches de couleurs dans les mouvements lents ? Pas de problème : d’un geste de la main gauche, il contrôle les glissandos et ajuste les nuances pour être sûr d’entendre la percussion discrète qui achève la carte postale dans un Prélude à la Nuit envoûtant.
- Et vous voulez rire ? La photo parle d’elle-même. Dans L’Heure Espagnole, les accents lourds du contrebasson, les petits accidents de cuivres qui émaillent les gags tombent toujours à pic, préparés avec soin dans une belle connexion avec un plateau de chanteurs qui a tout le loisir de dérouler la farce, la voix et le texte, particulièrement intelligible chez à peu près tout le monde. Du Buster Keaton dans le texte…
Pied à pied
Bon, bien sûr, il faut rendre à César ce qui lui appartient, parce que vous avez beau être un pilote de course, si vous conduisez une dodoche, vous n’irez pas plus loin (quoique). Qu’on se le dise, avec ou sans son chef fondateur, Les Siècles est un sacré orchestre. Les pupitre de cordes, dont l’unité est si importante dans cette musique sont d’une cohésion et d’une écoute qui donne l’impression qu’on a donné tous les instruments à un être à mille bras, qui les joue tous dans le même souffle. En parlant de souffle, les attaques des cordes sont d’une délicatesse exquise, so French !
Pieds joints
Et les percussions alors ? Attendez, le Boléro arrive ! On allait pas l’oublier… Il y a un proverbe au Mali qui dit : « On ne joue pas un rythme. On le prend en route, et on le quitte ». Comme si le rythme était une sorte de tapis roulant en boucle permanente, à l’infini dans l’âme des musiciens du monde, et qui s’exprime en son quand ils et elles mettent les mains sur leur instrument. Le motif de la caisse-claire du Boléro fait partie de ces litanies du mouvement perpétuel qui fait qu’au début, après avoir pris le tempo du chef, le percussionniste ferme les yeux, laisse faire ses baguettes et ouvre la voix au crescendo intense que tous, un à un, finissent par rejoindre jusqu’à l’explosion finale. On ne fait pas mieux comme métaphore du collectif, et on sort de là en se disant deux choses : la première c’est que Les Siècles ont encore de belles années devant eux, avec ou sans chef permanent. La deuxième s’exprime dans les sourires et le tonnerre d’applaudissements que les aficionados leur réservent : Ravel, c’est le pied !