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Ravel et l’Espagne, quand l’heure du scandale traverse Les Siècles

COMPTE-RENDU – Après Tourcoing, l’Orchestre Les Siècles présente le programme « Ravel et l’Espagne » au Théâtre des Champs-Élysées, Adrien Perruchon en assurant la direction à la place de François-Xavier Roth remplacé le jour même après la parution d’un article dans Le Canard Enchaîné :

« Oh ! La pitoyable aventure ! » chante Concepción, personnage principal de L’Heure espagnole de Ravel. Des mots qui résonnent bien différemment dans le contexte de ce concert, précisément en ce jour de parution du Canard Enchaîné. Si le public du Théâtre des Champs-Elysées a reçu le même jour (vers 11h) un message indiquant qu’Adrien Perruchon y remplace François-Xavier Roth (pourtant la veille encore à la tête de l’Orchestre les Siècles pour ce même programme à Tourcoing), nul motif n’est donné pour expliquer la cause de ce changement de dernière minute, et une grande partie du public ne découvrira visiblement qu’après, l’article du palmipède du jour, intitulé « Un chef d’orchestre qui mène son monde à la braguette » (sic). François-Xavier Roth y est accusé par plusieurs musiciennes et musiciens d’envoyer depuis de nombreuses années des messages et photographies à caractère sexuel. L’accusé concède ainsi au journal : « Il m’est arrivé d’avoir des échanges intimes par téléphone. Si je suis allé trop loin, je présente mes excuses à celles que j’ai pu choquer. »

Les Siècles ne faiblissent pas

L’Orchestre Les Siècles ne se résume pas à un chef, c’est un ensemble de 70 musiciens qui ont visiblement soudé leur énergie pour assurer la soirée aux vives couleurs de Ravel et de l’Espagne. Le programme conséquent ne leur laisse pas de répit, les pages ravéliennes exigeant précision et virtuosité, notamment le Boléro. Saluons le percussionniste qui assume l’ostinato rythmique sans faiblir entrainant la phalange dans un tempo qui avance jusqu’à l’explosion finale. Sortant du silence dans un battement de cil plus que de tambour, les vents s’expriment à tour de rôle, construisant le crescendo par paliers et révélant des musiciens hors pairs. 

Adrien Perruchon a la baguette légère au bout de laquelle la musique se déploie tel un éventail de dentelle. Les tempi ne trainent pas, teintant d’inquiétude (et pour cause) les quatre notes inlassablement répétées de la Rapsodie espagnole. Il galvanise l’orchestre dans le tumulte festif des danses au son des castagnettes, tout en conservant une précision d’horloge suisse, salutaire notamment pour L’Heure espagnole interprétée en seconde partie.  

Des sous-entendus qui sonnent différemment… 

« Elle s’appelait Conception Et avait besoin d’affection… » chantait Robert Charlebois comme pour résumer l’intrigue de L’Heure espagnole de Ravel d’après une comédie-bouffe de Franc-Nohain. Dans l’esprit d’un vaudeville, le ton est à l’humour, frôlant parfois l’absurde (l’horloger qui demande l’heure) et ponctué de rimes drolatiques (Et je reste fidèle et pure… À deux pas de l’Estramadure. Au pays du Guadalquivir ! Le temps me dure, dure, dure…). Humour des situations avec les transports d’horloges dans lesquelles se cachent les amants de Concepción, et humour de la musique elle-même à coups de glissandi  ironiques et de timbres particuliers (cloches, fouet, cors avec sourdines…). Les allusions grivoises qui choquèrent public et critiques à la création, déclenchent ce soir les rires francs d’un auditoire qui n’a visiblement pas été mis à l’heure du scandale.

La mezzo-soprano Isabelle Druet s’amuse follement à interpréter ce personnage haut en couleurs dont le besoin « d’amour » (d’amants) devient une véritable obsession. Son jeu truculent s’accorde à sa voix charnue qu’elle déploie généreusement lorsqu’elle se désole du peu d’entrain de ses amants…

Loïc Félix interprète son mari Totor (pour Torquemada) d’une voix digne d’un horloger, précise et finement timbrée, faisant sonner ses répliques brillamment. L’amant numéro un, Gonzalve, est interprété par le ténor Benoît Rameau qui porte hautement son inspiration de poète vers la nasalité. Personnage évanescent (ce que lui reproche Concepción), sa voix peut quelque peu manquer de projection mais il interprète néanmoins les nombreuses sérénades dans une aisance virtuose. 

Le baryton-basse Nicolas Cavallier incarne l’amant numéro 2, Don Iñigo Gomez, d’une voix aussi riche que son personnage de financier. Les graves sonnent en espèces sonnantes et trébuchantes et il se délecte à sortir ses « coucou ! » en voix de tête.  

Et enfin, l’amant inespéré, Ramiro le muletier (« Il arrive un moment, dans les déduits d’amour, Où le muletier a son tour ! ») qui est magistralement interprété par le baryton Thomas Dolié. Sa voix est aussi assurée et musclée que son personnage qui transporte des armoires tout au long de l’œuvre, et il joue les naïfs avec justesse et drôlerie. 

Les artistes sont chaleureusement applaudis par le public, involontaire et bienheureux « candide » ressortant de la salle le sourire aux lèvres. Reste à souhaiter que Les Siècles puissent retrouver une certaine sérénité et poursuivre leur travail spécifique de jouer un vaste répertoire sur des instruments historiquement appropriés car, d’habitude, la musique adoucit les mœurs. 

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