L’intérêt d’un Interco interprète

COMPTE RENDU – L’Ensemble intercontemporain fait sa rentrée à la Cité de la Musique avec deux pièces arrangées par le compositeur suisse Michael Jarrell : ses Reflections II pour piano et ensemble, et la Symphonie n°4 de Mahler.

Langue source et langue cible

Dans le cadre du weekend « Mahler Perspectives », la Cité de la Musique et l’Ensemble intercontemporain mettent en regard deux œuvres arrangées – ou peut-être devrait-on dire « traduites » – par le compositeur suisse Michael Jarrell : Reflections II et la Symphonie n°4 de Mahler, dans des arrangements conçus spécifiquement pour ce concert.

Si l’on parle de traduction, c’est bien parce que l’exercice de l’arrangement ne se limite pas ici à combler les manques, ou à redistribuer les voix lors du passage d’un grand orchestre à un plus petit ensemble : il faut respecter la lettre et transmettre l’esprit ; intégrer la grammaire originale dans la langue de l’intercontemporain. 

© Anne-Elise Grosbois
Dialogue de sources

Avec Reflections II (créé en 2019 par Bertrand Chamayou et l’Orchestre Philharmonique de Radio France), Michael Jarrell suit le fil d’une pensée, traversée par des impressions diverses. Ainsi le piano, d’abord très intégré au reste des musiciens, s’individualise au cours du premier mouvement : locuteur privilégié de l’œuvre, il semble que l’orchestre soit pour lui tour à tour une émanation, un commentaire, ou un dépassement. C’est précisément ce qui se passe dans le dernier mouvement où les musiciens, après avoir répondu par bribes au piano, se déploient jusqu’à prendre l’ascendant sur le soliste ; et ce qui n’était que réflexion et pensées s’incarne progressivement, et de manière extrêmement physique, dans l’emploi des percussions.

À lire également : Rentrée de l’Ensemble intercontemporain : tout se transforme !

Le pianiste Hidéki Nagano affronte une partition virtuose en soulignant la continuité des idées musicales. Le titre Reflections, qui nous fait davantage penser à la réflexion qu’au reflet prend tout son sens dans le jeu du pianiste, qui n’illustre pas des impressions fugaces et variées, mais suit le fil d’une pensée dans toutes ses circonvolutions. À la tête de l’Ensemble Intercontemporain, Pierre Bleuse cherche quant à lui une profondeur de son dans laquelle le piano puisse se fondre, ou à laquelle il puisse se confronter, servie par des cuivres brillants, des cordes tantôt menaçantes et tantôt emportées, et des pupitres de percussions qui donnent sa densité à l’ensemble : qualité du traducteur et qualité des interprètes qui suscitent l’enthousiasme du public.

© Anne-Elise Grosbois
Mahler, fort en thèmes

Si l’idée d’une symphonie de Mahler adaptée pour un ensemble réduit peut laisser perplexe, de peur de perdre ses couleurs extraordinaires, rien dans la version de Michael Jarrell n’est lost in translation. Cela demande il est vrai des aménagements : le trombone absent de la version originale est réintroduit, les altos et la harpe viennent davantage en soutien des violoncelles et contrebasse… C’est un exercice de recherche de synonymes auquel se prête le compositeur-traducteur, fidèle au contenu, même s’il en change le contenant. On perd évidemment des effets de matière et le spectre de nuances est moins développé ; mais il se dégage de cette version une atmosphère chambriste, intimiste, où le matériau thématique est rendu d’une clarté absolue par l’allègement de l’orchestration.

Bleuse et sa version

Pierre Bleuse dirige cette Symphonie n°4 comme une œuvre lumineuse, très viennoise dans l’esprit, et en gomme parfois les aspérités : les deuxième et troisième mouvements sont ainsi dansants, énoncés d’un son brillant et homogène ; planants, mais jamais éthérés. L’unité de cette lecture passe parfois à côté des pages plus tragiques ou grinçantes, préférant les assimiler plutôt que de les aborder comme des éléments perturbateurs du discours – comme le violon solo du Scherzo, dont le cynisme était peu présent. Mais le premier mouvement est rayonnant et le finale, d’une vivacité permanente, répond particulièrement bien à la sensibilité d’Elsa Benoit, qui enrobe d’une voix ronde et délicate le poème « Das himmlische Leben » ; avec une pensée sans doute, en chantant cette « Vie céleste », pour la soprano Jodie Devos, disparue en juin dernier et qui devait initialement se produire lors de ce concert.

Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]