DANSE – Le Théâtre National de Bruxelles présente la chorégraphie cathartique de Mercedes Dassy, interprétée par un quatuor de femmes-centaures aux faux airs d’Amazones. Mi-femmes, mi-machines, les danseuses transforment le geste en prothèse, le transhumanisme pour fer de lance. Qu’il s’agisse d’une rupture avec l’homme ou avec le passé, le rapport à la Μορφή (Morphē) est en bouleversement grâce à la chorégraphie de Mercedes Dassy avec Justine Theizen, Maeva Lassere, Kim Ceysens et Dora Almeleh.
Sur scène, toute vie semble avoir disparu. Les fleurs factices en plastiques et les emballages de nourriture jonchent le sol. Les néons crus baignent l’espace dans une nuée d’ersatz. Seules subsistent les quatre créatures mythologiques, les quatre cavalières de l’apocalypse qui se lancent en combat contre leur propre nature. Il existe des spectacles qui annoncent un basculement, un changement de paradigme. RUUPTUUR en est un parfait exemple : radical, violent, féroce, la chorégraphie met en scène la rencontre entre la machine, la guerre, la femme, la sororité et la notion de collectif. Collectif d’ensemble et collectif de destruction, la danse mène à la rupture en réponse au cri et aux coups.
« À la fin du XXe siècle, notre époque, une époque mythique, nous sommes tous des chimères, des hybrides théorisés et fabriqués de machine et d’organisme ; en bref, nous sommes des cyborgs. »
Donna Haraway
RUUPTUUR amorce une série de représentation au théâtre national à l’occasion du lancement du Fame festival (Festival where Arts meet Empowerment). Ce festival tient à mettre en valeur le travail des femmes et minorités de genre, à l’image de Bruxelles : hétéroclite.
Femme augmentée
RUUPTUUR est un de ces spectacles qui n’a pas besoin de raconter une histoire. Pas de mots nécessaires, les percussions et l’énergie brute y évoquent une forme de communication rituelle, une religion où rouages, cris et corps se rejoignent d’instinct. Loin des images de druides en toges et des messes noires, l’inquisition contre les femmes libres et les sorcières appartient au passé. La femme du futur, celle qu’il faut craindre, est une femme aux tendances cyborg.
La chorégraphe Mercedes Dassy avait marqué le public belge en 2018 avec son spectacle i-clit, un solo engagé autour du corps féminin, de la notion de genre, du sexe et de la féminité. Auparavant centrée sur l’organe féminin, ici, la notion de corps s’élargit à l’exosquelette, dépassant la frontière du corps pour s’approcher du transhumanisme, de l’accessoirisation et du corps-outil. Mi-humaine, mi-machine, le corps devient une métaphore centrale pour transcender les oppositions traditionnelles : homme/femme, nature/culture, corps/esprit.
Manga d’acier
Mercedes Dassy n’en parle pas directement, mais il semblerait que les influences du Cyborg Manifesto soient présentes. Publié en 1985, cet essai de Donna Haraway est un texte radical à la source de nombreuses théories féministes mêlant technologie, science-fiction et critiques du patriarcat. Considéré comme un texte fondateur du féminisme cybernétique et postmoderne, le Cyborg Manifesto trouve un écho direct dans RUUPTUUR, illustration de la femme du futur, entre thecnologie et mythologie.
« Les machines de la fin du XXe siècle ont rendu totalement ambiguës la distinction entre naturel et artificiel, esprit et corps (…) Nos machines sont d’une vivacité inquiétante, et nous-mêmes d’une inertie effrayante. »
Donna Haraway
Première femme-machine-héroïne de l’histoire, il semble aussi pertinent de faire un lien entre RUUPTUUR et le manga Gunnm. Connu aussi sous le titre Alita: Battle Angel, ce manga de science-fiction écrit par Yukito Kishiro, publié pour la première fois en 1990, est devenu une œuvre culte du genre cyberpunk. Le personnage principal, Alita, est une guerrière cyborg qui, malgré son corps mécanique, conserve des émotions humaines. À une époque où la question de la féminité et de la place de la femme dans la société est au cœur des débats, Gunnm était le premier manga à présenter une femme en tant que personnage principale.
Parallèlement, RUUPTUUR invite à dépasser la vision traditionnelle du corps féminin pour lui offrir une position hybride, mariant la puissance de la sororité au mouvement à la puissance guerrière. Femmes aux corps puissants, musclés et nerveux, la sensualité féminine se mêle à la force musclée, façon Elen Ripley (interprétée par Sigourney Weaver) dans Alien.
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À l’instar d’Alita, de Donna Haraway, d’Elen Ripley et des créatures mythologiques, la femme présentée par Mercedes Dassy s’illustre au dernier combat survivaliste entre sa force mécanique avec sa vulnérabilité émotionnelle. Complexes, directes, honnêtes, combatives, les quatre dernières cavalières de l’apocalypse pourraient se suffire à elles-mêmes.