OPÉRA – l’Opéra Bastille nous offre Faust de Charles Gounod pour la 9e fois sous cette mise en scène avec Pene Pati, Alex Esposito, Amina Edris et bien d’autres surprises. Entre crise de la cinquantaine, rencontre avec les enfers et meurtre, l’orchestre et choeurs de l’opéra national de Paris sous la baguette de Emmanuel Villaume accompagne le drame.
Faust, késako ?
On ne va pas se mentir, en 3h42, il peut s’en passer des choses. Faust, en pleine crise de la cinquantaine, regrette sa jeunesse et passe alors un pacte avec Méphistophélès. C’est le début des ennuis. Faust tombe amoureux de Marguerite, et là, tout s’emballe : grossesse imprévue, le frère de Marguerite revient du front, et Faust s’éclipse (classe !). S’ensuit un meurtre, une vengeance, et Marguerite bascule dans la folie. Ce qui commençait comme un retour à la jeunesse finit en désastre cosmique, sans happy end.
Le Burn-out
Ah, qui n’a jamais rêvé de ses vingt ans, ces moments où l’amour fleurissait, où le corps suivait sans rechigner, et où le cholestérol était un concept abstrait ? La jeunesse, c’est un peu ce que vit notre cher Faust. En pleine crise de la cinquantaine, il cherche à revivre sa jeunesse avec une (beaucoup) plus jeune Marguerite. Dans cette mise en scène transposée dans le Paris contemporain, l’actualité trouve une drôle de résonance. Pene Pati et Marc Diabira sont affublés du même look pour ne former qu’un seul Faust, un plus jeune que l’autre. Jusque-là on suit. Ça se complique quand Méphistophélès attribue à Faust des pouvoirs étranges et incendie Notre-Dame avec un mégot mal placé (oui, fumer tue… même les monuments). Après une balade à cheval en pleine nuit – ambiance fin de soirée bien arrosée – la mise en scène de Tobias Kratzer, située dans un Paris actuel, ressemble plus à Very bad Trip qu’au conte originel. Une version moderne qui part en vrille, pour le meilleur et pour le pire…
So Opéra ou soap opéra ?
La mise en lumière de cette production, c’est du grand art ! L’illusion d’un Paris chic, avec son éclairage qui feinte une rue derrière la fenêtre est réussie. Mais avant même d’avoir le temps d’admirer la bibliothèque, paf ! On se retrouve propulsés dans un terrain de basket, le métro bondé et même une boîte de nuit. Un vrai tour de force visuel, à tel point qu’on se demande parfois si on regarde encore un opéra ou une série Netflix.
La caméra portée pendant les actes deux et trois, c’est la cerise sur le gâteau qui grise la frontière entre opéra et cinéma. Une expérience visuelle immersive… voire un peu trop. Entre deux zooms sur des scènes dignes d’un clip musical, on se demande si la musique n’est pas passée au second plan. Un spectacle qui nous fait repenser l’opéra, certes, mais qui pousse à se demander si l’œuvre de Gounod n’est pas un peu étouffée sous cet ouragan d’images.
Place à la musique
Les voix ? Que du bonheur !
- Pene Pati (Faust) nous offre des aigus à répétition sans sourciller dans une partition qui ne lui fait aucun cadeau. Il s’en sort comme le champion qu’il est.
- Amina Edris (Marguerite) brille dans la troisième partie avec des aigus qui pourraient percer des vitres !
- Marina Viotti (Siebel) ? Un grand oui avec un « Faites-lui mes aveux » que le public applaudit avant la fin.
- Et Méphistophélès ? Alex Esposito nous donnerait presque envie de signer avec le diable, tant sa voix est ronde et charmeuse.
Du côté de la direction, Emmanuel Villaume dirige comme s’il était lui aussi possédé : d’un geste autoritaire, il balance l’ouverture en pleine face du public ! Il garde son énergie tout au long de ce marathon lyrique. L’orchestre, malgré une mise en scène qui en fait parfois trop, tient bon la barre et nous offre une belle variété d’effets, entre cordes délicates et cuivres explosifs.
Les chœurs, eux, ne se contentent pas de chanter : ils vivent le show ! Costumes branchés, ambiance militaire ou soirée fluo, certains vont même jusqu’à danser. Les ténors ressortent parfois un peu trop, mais rien qui ne vienne perturber la fête.
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Au bout du conte ?
Dans l’ensemble on est loin du mythe. Cette version de Faust nous montre que, même en pactisant avec le diable, on n’échappe pas à la crise de la cinquantaine… Entre notes aigües, caméras volantes, et Notre-Dame en flammes, on en prend plein la vue (et les oreilles). Un marathon lyrique où les chanteurs brillent et où l’orchestre ne flanche pas, dans un spectacle qui rapproche encore un peu plus l’Opéra d’un grand show.