DANSE – En ouverture de sa nouvelle saison, le ballet de l’Opéra National du Rhin de Strasbourg repense l’union des contraires avec Nous ne cesserons pas de Bruno Bouché et la création Les Noces de Hélène Blackburn. Ces deux chorégraphies convoquent une distribution musicale riche : la musique pour piano de Liszt par Tanguy de Williencourt et Noces de Stravinsky dans l’interprétation des artistes du Chœur et de l’Opéra Studio de l’Opéra du Rhin ainsi que des Percussions de Strasbourg, sous la direction de Hendrik Haas.
Le ciel : ombre et lumière
Avec Nous ne cesserons pas, Bruno Bouché réinvestit une thématique qui lui est chère : celle de la lutte de Jacob avec l’Ange relatée dans le Livre biblique de la Genèse et déjà présente dans sa pièce Bless – ainsi soit-IL (2010).
Dans cette nouvelle scénographie, l’opposition entre les réalités terrestre et céleste est accentuée par deux pôles scéniques : le piano à queue noir côté jardin et une échelle dorée dont les barres se perdent dans les hauteurs, côté cour. Agglutinés autour du piano et plongés dans l’obscurité, les danseurs se glissent sous l’instrument puis viennent habiter l’espace du milieu, mus par les rapports de force des thèmes lisztiens de la Sonate en si mineur. Les corps des danseurs tirent leur énergie et leur virtuosité de l’écriture contrastée et rhapsodique de Liszt. Aux échelles d’accords furieusement plaqués par Tanguy de Williencourt répondent des corps parallèles parfaitement synchronisés, tandis que des thèmes tendrement égrenés dans les aigus par le pianiste, naissent des soli quasiment improvisés, interprétés avec souplesse par Brett Fukuda.
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Le désir d’élévation vers la lumière et les hauteurs transparaît dans la verticalité des danseurs qui, montant les uns sur les autres, tentent de former une échelle humaine ; mais aussi dans le dégradé des costumes de Xavier Ronze, allant du sombre au beige clair. A l’instar du retour cyclique du thème de la sonate, l’ombre de la finitude absorbe les corps qui chutent et roulent au sol. Au terme de cette quête, courbé sur son instrument, se confondant presque lui, Tanguy de Williencourt allie legato épais et aigus finement irisés.

La terre : asymétrie

Les Noces sont célébrées sous un immense lustre et dans une trépignation fébrile : une troupe exclusivement féminine de danseuses fait résonner le sol par de rapides déplacements sur pointes. Sur ce tapis sonore s’élèvent les inflexions bondissantes et le vibrato serré de la soprano Alysia Hanshaw. Avec une rythmique implacable, le chef Hendrik Haas dirige le large effectif que convoque la musique stravinskienne. Le chœur de femmes et d’hommes de part et d’autre de la fosse fait retentir de puissants tutti mais souffre de son placement : couvertes par le timbre des percussions, leurs paroles sont peu compréhensibles malgré la version française choisie pour la représentation. Le baryton Pierre Gennaï fait sourdre de solides tenues tandis que le ténor Sangbae Choï déploie des aigus énergiques. La mezzo-soprano Bernadette Johns soigne des graves souples, mais tout comme les autres solistes, est desservie par son placement, du haut du balcon côté jardin.
À la souplesse immaculée des danseuses d’abord entièrement vêtues de blanc, s’oppose la présence solitaire d’un homme en smoking noir qui incarne le poids des conventions sociales en mimant mécaniquement une série de gestes. En jupes désormais teintées de rouge, les danseuses alternent déhanchés et figures froidement graphiques dans un rythme effréné. Les quatre pianistes font scintiller les aigus des dernières notes enfin apaisées. Mais cette accalmie est de courte durée : dans un fracas retentissant, le lustre s’effondre sur la scène, renvoyant ainsi au pouvoir de la pesanteur, et laissant le public perplexe.
Retrouvant ses esprits, la salle comble acclame longuement les artistes qui ont su, malgré les contraintes scéniques, unir leurs forces terrestres et célestes.