Made in Canada : trois pour un

DANSE – De retour à Paris après sept ans d’absence, le Ballet national du Canada investit le Théâtre des Champs-Élysées avec trois créations signées par l’élite des chorégraphes canadiens : Crystal Pite, William Yong et James Kudelka. Une soirée assez inégale sauvée par « Angels’ Atlas », qui rappelle le génie de Pite, l’une des chorégraphes les plus talentueuses du moment.

Passion : amour platonique

Dans « Passion », créée en 2013 pour le ballet de Houston, James Kudelka, ancien directeur artistique du Ballet national du Canada (1996-2005) tente de conjuguer l’amour au passé et au présent en jouant sur le contraste entre classique et contemporain, comme si la danse avait suivi l’évolution des relations amoureuses. Un pari ambitieux, qui, hélas, peine à convaincre et laisse sur la touche les néophytes, perdus dans ce ballet glacial. Sur scène, deux couples se croisent : l’un, contemporain incarne une passion brute, intense mais un poil toxique ; l’autre, classique, symbolise un amour idéalisé et poétique, un poil désuet.

Autour d’eux, telles des Willis, échappées de Giselle, un ensemble de cinq danseuses vêtues de tutus romantiques tournoient et suivent leur chemin, indifférentes au drame qui se joue. Certes, la virtuosité technique est au rendez-vous avec de jolis mouvements : les arabesques s’enchaînent de façon cadencée, les portés s’élèvent gracieusement. Mais derrière cette perfection formelle, l’émotion peine à surgir. Et le jeu de miroirs entre classique et contemporain finit par lasser. Au final, Passion ressemble à ces histoires d’amour techniquement irréprochables mais où l’émotion peine à éclore. Et c’est bien triste !

Utopiverse : Science dessus-dessous

William Yong, chorégraphe canadien d’origine hongkongaise, nous propulse dans un ballet futuriste avec sa dernière création Utopiverse, créée en 2024 pour le Ballet national du Canada. Connu pour ses créations interdisciplinaires, il tente de mêler danse, théâtre et nouvelles technologies, ce qui donne un spectacle visuellement intéressant, mais dont le propos peine à convaincre. Utopiverse explore un monde utopique où les humains coexistent avec la technologie. S’inspirant en partie du Paradis perdu de John Milton (1667), Yong nous interroge sur la dualité utopie/dystopie où comment le rêve des uns peut devenir le cauchemar des autres. Il nous invite aussi à repenser notre rapport à la technologie et à bousculer nos certitudes.

Son sujet est louable mais le message se noie dans une chorégraphie brouillée d’effets spéciaux. D’entrée de jeu, on est happé par des effets visuels saisissants : une ellipse en néon suspendue au-dessus de la scène, des projections vidéo de voies lactées, des costumes futuristes et des jeux de lumières vertigineux. Deux tableaux marquent les esprits :

  • une danseuse-déesse surgit, dans une robe en tulle à traîne blanche interminable, illuminée par des lumières rouges.
  • six danseurs coiffés de queues de cheval exécutent des mouvements tourmentés rythmés sous une lumière rouge. 

La prouesse technologique est indéniable et les danseurs nous impressionnent avec leurs nombreux portés aériens. Mais malgré tout, on se perd dans les méandres d’une chorégraphie inventive, mais qui manque cruellement de structure. Au final, Utopiverse ressemble à un de ses clips futuristes qui nous laisse sur notre faim par son manque de cohérence, comme si la technologie avait pris le pas sur narration et l’émotion.

Angel’s Atlas : la carte du corps

Après avoir embrasé l’Opéra Garnier en 2018 avec son désormais culte The Season’s Canon, Crystal Pite sauve la soirée. Avec Angels’ Atlas, créé pour le Ballet National du Canada en 2020, la chorégraphe canadienne renoue avec son langage chorégraphique où le mouvement naît de la fusion des corps des danseurs et confirme une fois de plus son statut de génie créatif.  Sur scène, un mur de éclairé et mouvant crée une atmosphère sacrée. Des formes blanches aux contours flous : des anges de lumière. Dans ce cocon céleste, l’ensemble des danseurs se métamorphose en une entité unique, portée par une énergie divine.

Chaque geste semble jaillir des tréfonds de l’âme oscillant entre prière et pardon, entre battements de cœurs et dernier souffle. Une danseuse s’éteint sur scène dans un frémissement, telle une fée qui se meurt après avoir perdu ses ailes. Pite sculpte l’espace comme jamais, magnifiée par un jeu de lumière d’une redoutable efficacité. Au-delà de la prouesse technique et de l’émotion ressentie, « Angel’s Atlas » nous plonge dans les grandes interrogations de l’existence : vie, mort, amour et quête de l’infini.

À lire également : Crystal Pite surfe sur la vague

Là où les deux premières pièces de la soirée peinaient à nous émouvoir, cette création quasi-mystique nous frappe en plein cœur, rappelant que le corps en mouvement est plus puissant que la parole, quand il s’agit de faire jaillir des émotions brutes. 

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