CONCERT – À bout de souffle. Voilà comment le Lucerne Festival Orchestra laissa le public de la Philharmonie ce vendredi 18 octobre 2024. Un programme bref mais efficace : le Concerto pour violon de Jean Sibelius, d’une trentaine de minutes, et les Danses symphoniques de Sergueï Rachmaninoff, à peine plus longues. Mais pour durer peu, le concert envoyait du lourd.
En haut de l’affiche – enfin juste en dessous de Chailly – il y avait le tout jeune mais déjà célèbre Daniel Lozakovich. 23 ans, un Stradivarius et une bonne dose d’assurance dans le poignet, et le voilà parti pour aligner les trois redoutables mouvements du Concerto pour violon en ré mineur op. 47 de Sibelius.
Corps à cordes
Lozakovich joue du violon, mais il a la délicatesse de ne pas nous le faire sentir à chaque note. Son grain de son est riche, ses graves particulièrement chauds ; son opiniâtreté n’est pas irritante, le vibrato n’est pas abusif, et la fougue pas plus démonstrative que ce que la pièce autorise. Lozakovich déverse toute sa technique sans rien sacrifier à la musicalité, et enchaîne brillamment les traits : tout y passe, doubles cordes lancinantes, harmoniques, rebonds, effleurement avec l’archet. Les sauts d’intervalles sont jubilatoires. Le soliste arpente la tessiture de son instrument avec un aplomb déconcertant – et ne laisse paraître une gêne qu’une fois la musique retombée, lorsqu’il doit patienter en toisant l’orchestre avant sa prochaine réplique. Le premier mouvement, « Allegro moderato » était extraordinaire de précision, de sensibilité, de finesse, de verve aussi, avec une intention dramatique merveilleusement soutenue par l’orchestre, tandis que le 2e mouvement, l’« Adagio di molto », est lui plus pénétrant et absorbé.
Alors est-ce que c’est une bonne situation, ça, jeune soliste aux côtés d’un chef si expérimenté ? Eh bien, il faut croire que oui. Parce que les quelques faux pas au début du troisième mouvement ont été bien rattrapés par Chailly, au point de nous faire oublier en quelques secondes le petit cafouillage technique du violon. L’« Allegro, ma non tanto » en impose, avec ses somptueux tutti, ses airs syncopés qui vous communiquent cette envie furieuse d’esquisser quelques pas. L’acharnement technique est époustouflant. Un rappel fut concédé, et avec lui quelques minutes de virtuosité données en supplément, puis salut, re-salut, et rideau. Le public de la grande salle Pierre Boulez a tout juste le temps de retrouver son air, la valse reprend déjà.
Soirée à thèmes
Les Danses symphoniques op. 45, c’était autre chose. D’abord, on pouvait se concentrer sur le tête-à-tête du chef et de son orchestre, ce qui n’était pas désagréable à observer. Et puis, il fallait scruter tous les pupitres ; car ces danses sont un petit ravissement dans le travail du timbre. Ainsi pas de soliste, mais entre autres un piano, deux harpes, un piccolo, un saxophone, un cor anglais, une clarinette basse, un glockenspiel, un carillon tubulaire. Et quels thèmes ! quels solos ! Sans parler des citations et autocitations dont l’œuvre est truffée, des airs passionnés, des ritournelles entêtantes, des élégies, des tutti crépusculaires. Tout simplement enivrant.
Pour ces tableaux dansants si évocateurs, Chailly fut brillant : genoux fléchis, la fougue prête à partir dans un bond furieux, il tira le meilleur de ses musiciens (quel plaisir d’avoir des cordes aussi nettes !). Il fit même don d’un petit rappel : le Scherzo de Rachmaninoff, composé à l’âge de 14 ans, comme il eut soin de le préciser en français – petit concentré de virtuosité pour la flûte.
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Une soirée au pas de course, sur le rythme effrénée de cordes déterminées à en découdre et les directives d’un chef en pleine forme – et côté public, l’impression d’avoir dansé en restant dans son fauteuil !