JEUNE PUBLIC – Dans une séquence toute consacrée à la Chine, l’Opéra de Bordeaux n’oubliait pas les petits, avec un conte merveilleux signé Andersen : Le Rossignol et l’Empereur de Chine. Ensemble baroque et théâtre d’ombres au programme de cette heure magique. Pour rendre compte du spectacle, on a appelé Tzing Peu, un étourneau migrateur de passage à Bordeaux, qui crèche tous les ans devant l’audito avant de filer vers les pays chauds.
Moi et mes copains, on se retrouve tous les automne place Gambetta à Bordeaux, avant de filer à Marbella se mettre au chaud le temps d’un hiver. On squatte les marronniers. Ce samedi-là, on était tranquilles en train de bouloter les restes de cannelés que les touristes laissent toujours traîner sur les bancs publics, et c’est là qu’on l’a entendu, ce chant que personne n’osait reconnaître, s’échappant des portes hautes de l’Auditorium voisin. On s’arrête de picorer, on se regarde, et ni une ni deux je file à tire d’aile vers l’entrée, pour en avoir le cœur net. Plus je m’approche, plus je me dis qu’on a rêvé : le Rossignol d’Andersen à Bordeaux ? Impossible… Personne n’a entendu sa voix depuis 300 ans.
En entrant dans le hall, je survole le contrôle des billets sans crainte. Ils sont écolos à l’Opéra de Bordeaux maintenant, ils risquent pas de me chercher des noises ! Je profite d’une porte ouverte au second balcon pour me glisser dans la salle, mon petit cœur battant dans sa cage. Et en regardant la scène je comprends : on s’est fait avoir ! Ce chant du rossignol qu’on entendait depuis la place, c’était le flutiau de Kôske Nozaki, installé ici avec Florence Bolton et Benjamin Perrot. L’ensemble s’appelle La Rêveuse. On avait bien rêvé…
Peu importe, je suis resté pour me faire raconter cette légende qu’on connaît par cœur, nous les oiseaux : un Empereur de Chine s’ennuie dans son palais splendide. Dehors, un Rossignol enchante tous les jours la forêt. L’histoire est la rencontre de deux mondes incapables de se comprendre, qui aboutit sur la pire chose qui peut arriver à un oiseau : la cage… Le Rossignol et l’Empereur de Chine : chez les humains c’est un conte merveilleux, inventé par Andersen à une époque où l’Europe de passionnait d’Orient. Chez nous, c’est une histoire d’épouvante qu’on raconte aux oisillons pour les dissuader de s’approcher des maisons…

Mais les humains dans la salle avaient l’air de se passionner pour cette histoire. Surtout les petits humains, scotchés par le jeu d’ombres qui se dessinaient sur les paravents, à côté des musiciens. Cécile Hurbault, avec ses pantins en deux dimensions et ses lampes magiques qui font des formes sur les murs a vraiment réussi son coup. C’est drôle, parce que depuis que les humains on inventé ces drôles de boîtes qui font de la lumière et qu’ils caressent dans la rue en les fixant du regard, nous autres les oiseaux on a la paix ! Plus personne ne lève les yeux vers le ciel ! Notre royaume est un monde anonyme qui plane en silence au-dessus de leurs têtes.
Là, je sais pas si ce sont les mouvements des ombres sur le paravent ou la poésie des mots, mais je les comprends un peu mieux, ces humains. Ils ont inventé ce truc bizarre pour s’extirper de leur monde gris cloué au sol : des ombres projetées sur les murs d’une salle obscure, avec des humains qui leur racontent une histoire, le tout accompagné par des gazouillis à faire pâlir d’envie notre rossignol légendaire. Une copie du monde, juste assez ressemblante pour qu’on ne s’ennuie pas, mais pas assez convaincante pour qu’on y perde le sens de la réalité.
À la fin de l’histoire, quand l’Empereur accepte qu’il ne peut pas retenir un oiseau dont la beauté du chant est la conséquence directe de sa liberté, quand il comprend que c’est lui qui vit en cage, toute dorée soit-elle, j’ai envie de faire comme les humains qui frappent le bout de leurs ailes pour exprimer leur joie. J’essaie de les imiter, mais le son n’est pas le même que le leur, et ça s’entend dans la salle : je suis repéré ! Alors, réflexe de survie, je m’envole, je fuis à tire d’aile. Les humains en tireront quelque chose, sûrement. Ils diront que ce spectacle était si beau qu’un oiseau est même resté pour le regarder. Si il veulent…
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Moi en tout cas, j’ai appris quelque chose, et peut-être que l’automne prochain, j’irai une nouvelle fois me percher au deuxième balcon, plutôt que sur les branches des marronniers de Gambetta. Peut-être même que j’y passerai l’hiver…