AccueilDisquesDisques - LyriqueA Voce di a Terra : Corse et Âme

A Voce di a Terra : Corse et Âme

DISQUE – Pour son tout premier album, la mezzo-soprano Éléonore Pancrazi rend hommage à son île natale, la Corse, en mettant en lumière des mélodies méconnues d’un compositeur pourtant bien connu. Un sacré pari pour un disque, A Voce di a Terra, qui fait aussi voyager dans toute l’Europe.    

Au fond, pouvait-il en être autrement ? Elle, l’Ajaccienne, si fière de ses origines méditerranéennes, pouvait-elle consacrer son premier album à une autre patrie, à un autre amour que celui porté à sa Corse natale ? Il semble bien que non. Il semble surtout que, pour l’étoile montante Éléonore Pancrazi, sacrée Révélation lyrique de l’année aux Victoires de la musique classique en 2019, toutes les planètes se soient soudainement alignées. 

Fallait-il l’envie de graver un premier disque ? La chanteuse l’avait depuis longtemps, et l’envie n’a fait que la démanger un peu plus au sortir d’une crise sanitaire où la scène et le plaisir de chanter lui auront tant manqué. Fallait-il un label ? Celui-ci, Oktav Records, par la voix du spalliste Samuel Hengebaert, s’est présenté à elle début 2023, la poussant plus encore à concrétiser son désir de passer en studio. Et fallait-il trouver des partitions un peu sympa et susceptibles de nourrir la curiosité ? Celles-ci attendaient depuis longtemps d’être ressorties des cartons, au Musée de la Corse de Corte, et elles étaient signées d’un nom plutôt connu dans le milieu : celui de Maurice Ravel. Lequel, âgé d’à peine 20 ans, avait arrangé un cycle de mélodies corses qui avaient trouvé bien moins d’écho que son futur Boléro, mais qui ne manquaient sans doute pas d’intérêt. Il était donc caché là, chez elle, en Corse, ce matériau qu’Éléonore Pancrazi graverait pour la postérité, le dédiant à son amie partie trop tôt, Jodie Devos.   

Un an et demi après cette révélation, en découle ainsi un album, A Voce di a Terra, entièrement nourri de cette âme insulaire qui avait déjà séduit, en son temps, Ravel. Douze des vingt-cinq plages de l’album sont dédiées à ces mélodies traditionnelles orchestrées par le compositeur français au milieu des années 1890. Il y a là des chants, des lamentos et de la serenata, autant de pièces tels des hymnes venant célébrer la beauté de la mer, le labeur des pêcheurs, ou encore la mort de ceux qui ont tant défendu cette terre face aux Génois ou d’autres. Un propos aux fortes consonances patriotiques et surtout poétiques, que viennent ici compléter quelques autres pièces de la même veine corse : ainsi de ce Diu vi Salvi Regina connu de l’île toute entière, ou encore de la berceuse O Ciucciarella, airs ici arrangés par Jérémie Vuillamier. Mais hors la Corse, l’artiste invite aussi à découvrir d’autres contrées : l’Auvergne, avec un Baïlero de Joseph Canteloube,  l’Irlande avec The Last Rose of Summer de Britten, ou l’Europe centrale avec un arrangement par Antoine Simon des Mélodies gitanes de Dvořák. Deux airs d’opéras, « Connais tu le pays » du Mignon d’Ambroise Thomas, et le fameux « Di tanti Palpiti » du Tancredi de Rossini, complètent la liste des réjouissances.    

Et soudain, la terre parla !

C’est donc là un authentique voyage par le chant au pays des musiques traditionnelles que propose Éléonore Pancrazi, Martha Angelici des temps modernes, qui trouve de quoi faire l’étalage de sa large palette vocale. Et ce en soliste, la plupart du temps, accompagnée par des complices du collectif ActeSix qui, avec leurs instruments à cordes, accompagnent la soprano sur le chemin de mélodies qui sont bien plus que chantées, mais littéralement incarnées. C’est ici une conteuse hors-pair que l’on entend, une ménestrelle contemporaine ayant tant le souci du mot que de la mélodie dans un chant qui procède d’un genre d’envoûtement. Avec sa voix ample, dont des graves ardents et des aigus célestes constituent les deux extrémités, l’artiste s’empare de ces airs corses avec l’assurance de celle qui en a été biberonnée dès le plus jeune âge.  

Il y a là des chants enjoués, d’autres empreints de nostalgie et de tendresse, et à l’occasion, c’est entre amis qu’Éléonore Pancrazi vient rendre hommage à son île, comme lorsqu’il s’agit d’évoquer la Cueillette des Olives ou le Chant des Pêcheurs. Alors, la soprano (corse) Amélie Tatti, le ténor Kaélig Boché ou encore le baryton-basse Thibault de Damas ne se font pas prier pour rentrer dans le jeu de la narration chantée, façon joyeuse polyphonie accompagnée par la harpe, la mandoline, et même l’accordéon.  

À lire également : Un spalliste : késako ?

Mais si l’on apprécie cette musique corse auquel Éléonore Pancrazi prête sans retenue sa voix aux teintes éplorées, joyeuses, et parfois jubilatoires, le passage par les terres auvergnates et britanniques n’est pas moins convaincant. Et les pages dansantes de Dvořák, qui sentent bon la Bohème, trouvent en cette « Pancrazi team » des interprètes généreux en sonorité, en musicalité, et en pertinence d’interprétation. Là encore, ces partitions sont moins jouées que narrées, disant l’amour et la richesse d’un pays qui n’est pas la Corse, mais qui vaut quand même le voyage. Un voyage ayant pour guide une Éléonore Pancrazi habitée par l’adoration d’une Terra dont la Voce se fait, ici, plus fervente que jamais.

Pourquoi on aime ? 
  • Parce que cet album respire le bonheur de chanter, le plaisir authentique de jouer entre amis, et la joie simple de mettre en lumière un répertoire méconnu.
  • Parce que ce CD offre, en l’espace d’un clic sur la manette du lecteur CD (ou d’un mouvement de doigt sur le smartphone) de se transporter en un instant sur des hauts plateaux corses, à l’ombre de quelque pin laricio avec sur mer. Un luxe qui ne se refuse pas. 
  • Parce que c’est un premier album, et que cela nourrit toujours une forme de curiosité.

C’est pour qui ? 
  • Pour ceux qui veulent changer un peu en découvrant des horizons nouveaux : Mozart et Verdi, c’est (très) bien, mais il n’y a pas que cela dans la vie ! 
  • Pour ceux qui aiment les voix qui sortent de leur zone de confort, en abordant des répertoires moins connus. 
  • Pour ceux qui, à table, voudraient un jour pouvoir dire qu’ils connaissent Ravel pour autre chose que son Boléro.
Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]