DISQUE – Enregistré en live au Théâtre de l’Athénée, l’ultime opérette d’André Messager ravira petits et grands. Il était temps de redécouvrir ce petit joyau de la comédie musicale française, d’autant plus que les artistes des Frivolités Parisiennes s’en donnent à cœur joie. À consommer sans modération.
Cela ne fait pas très longtemps qu’on semble s’intéresser de nouveau à l’opérette française de l’entre-deux-guerres. Et oui, l’opérette française, ce n’est pas seulement Offenbach et ses émules, ce ne sont pas seulement ces titres qui sentent bon les premières années de la Troisième République comme La fille de Madame Angot (1873), Les Cloches de Corneville (1877) ou autres Mousquetaires au couvent (1880). Comme en Autriche, où l’âge d’or de l’opérette de Johann Strauss fut suivi d’un âge d’argent avec Franz Lehár et Emmerich Kálmán, la France vit fleurir après la Grande Guerre une multitude d’œuvres drolatiques à cheval entre l’opérette française traditionnelle et la comédie musicale anglo-saxonne inspirée des productions américaines que les Parisiens pouvaient applaudir à Londres.
Un répertoire à ressusciter
Des compositeurs comme Henri Christiné (1867-1941), Reynaldo Hahn (1874-1947), Vincent Scotto (1874-1952), Moisés Simóns (1889-1945), Maurice Yvain (1891-1965), Raoul Moretti (1893-1954) ou Louis Beydts (1895-1953), pour ne citer qu’eux, ont ainsi fait les grands soirs des théâtres parisiens dans les années folles et dans les années 30. Si la génération de nos parents ou grands-parents se souvient encore, après-guerre, des succès de Francis Lopez avec Luis Mariano, force est de constater que ces répertoires sont aujourd’hui tombés dans l’oubli, et qu’il est grand temps de leur redonner leurs lettres de noblesse.
Le dernier Messager
Il paraît bizarre d’associer André Messager (1853-1929) aux musiciens précités. Né au tout début du Second-Empire, il est en effet surtout connu pour être le compositeur des grands succès de la fin-de-siècle comme La Basoche (1890), Madame Chrysanthème (1893), Les P’tites Michu (1897) et surtout Véronique (1898), dont certains tubes comme le duo de l’escarpolette et le duo de l’âne « De ci, de là » sont devenus des succès planétaires. L’Amour masqué (1923), Passionnément (1926) et Coups de roulis (1928) sont donc des œuvres tardives, dues à la plume d’un musicien expérimenté en perpétuelle quête de renouvellement. Par ailleurs, Messager est également associé à la musique dite sérieuse et « savante ». Créateur de nombreux ouvrages emblématiques comme Louise (1900) de Charpentier et surtout Pelléas et Mélisande (1902), il reste considéré comme un des chefs d’orchestre ayant contribué en France, mais également à Londres où il passa une grande partie de sa vie, à la découverte et à la popularisation de Wagner. Un peu comme le Falstaff de Verdi, on pourrait donc voir Coups de roulis comme la dernière farce musicale d’un vieux monsieur au sommet de son art.
La partition est d’une grande subtilité, en dépit de la fragilité de l’état de santé de Messager au moment de la composition. Le livret, écrit par le grand librettiste Albert Willemetz situe l’action de l’opérette dans une France résolument contemporaine, peuplée de jeunes femmes avides de liberté, de marins frustrés de la permission qui leur a été sucrée et d’un parlementaire de la République notoire pour son inefficacité et son incompétence. Tout ce petit monde est réuni par le plus grand des hasards sur le cuirassé « Montesquieu », où se met en place une intrigue mettant en scène les amours de Béatrice, la fille et secrétaire du député Puy-Pradal, dont le cœur tangue entre le commandant Gerville et le jeune aspirant Kermao. Puy-Pradal, personnage autrefois créé par l’acteur Raimu, lui-même chavire pour l’actrice Sola Myrrhis, ancienne maîtresse de Gerville bien décidée à tenter sa chance pour obtenir à Paris un contrat à la Comédie-Française…
Une interprétation proche de l’idéal
L’enregistrement paru en octobre dernier est la captation du spectacle mis en scène par Sol Espeche, donné initialement à Tourcoing puis repris ensuite en mars 2023 à Paris au Théâtre de l’Athénée. Le dialogue a été remplacé par une narration désopilante, qui permet de faire tenir la partition sur un unique CD. Les chanteurs réunis par la compagnie Les Frivolités Parisiennes sont tous exceptionnels par la qualité de leur diction, prérequis indispensable pour un ouvrage de ce type. Peut-être certains auditeurs nostalgiques regretteront-ils les qualités vocales des grands chanteurs d’autrefois qui, tels Camille Mauranne, Michel Dens, Liliane Berton, Lina Dachary ou Martha Angelici, s’étaient fait une spécialité de l’opérette française.
Les voix de Clarisse Dalles et Irina de Baghy n’ont certes pas la suavité de celles de leurs devancières, mais elles leur dament le pion en termes de présence théâtrale. Les messieurs s’en tirent un peu mieux sur le plan strictement vocal, notamment les deux barytons rivaux en amour, Christophe Gay en Kermao et Philippe Brocard en Gerville. Mention spéciale pour la gouaille de Guillaume Baudoin en Pinson et l’engagement dramatique de Jean-Baptiste Dumora en Puy-Pradal. La direction d’Alexandra Cravero à la tête des Frivolités parisiennes rend parfaitement justice au raffinement de l’orchestration de Messager, tout en assurant la cohésion scénique nécessaire pour les nombreuses scènes d’ensemble. Tout le monde croit à l’entreprise, et cela s’entend.
À lire également : Entre Vaudeville et Telenovela : le drôlissime Coups de Roulis
De nouvelles représentations du spectacle mis en scène sont prévues courant 2025 à Amiens, Clermont-Ferrand et Reims. Que l’on s’y précipite.