CONCERT – À la tête de l’Orchestre de chambre de Paris et accompagné du violoncelliste Steven Isserlis, le chef Gábor Takács-Nagy propose une soirée dominée par la Première école de Vienne, mais qui ne se refuse pas des incursions dans la musique du XXème siècle.
C’est un programme étonnamment dense que l’Orchestre de chambre de Paris a proposé au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction du chef hongrois Gábor Takács-Nagy : car si Haydn et Beethoven dominent la soirée en termes de temps de parole, Ernest Bloch au milieu d’eux possède des arguments indiscutables.
Haydn cause
En prélude au premier concerto pour violoncelle – brillant, virtuose, attendu – la Symphonie n°1 de Haydn aurait pu faire pâle figure avec ses dimensions restreintes. On se laisse pourtant gagner par le caractère très conversationnel de l’écriture, et par le souffle que communique Gábor Takács-Nagy à l’orchestre, toujours dense et sans jamais céder à une légèreté factice. On entend surtout, dans les couleurs du Presto final, comme une annonce de la « Réunion joyeuse de paysans » que dépeint Beethoven dans sa Pastorale.
Mais entre la forme sonate, calquée sur le modèle rhétorique, et le dialogue entre le soliste et l’orchestre, le Concerto pour violoncelle n°1 va un pas plus loin dans l’impression d’une conversation musicale. Parfois intégré à l’ensemble, parfois très exposé, Steven Isserlis se montre comme toujours profondément habité par la musique qu’il interprète : il y a d’abord la souplesse de la main gauche, le son feutré et la délicatesse des ornements du premier mouvement ; puis un Adagio où le soliste semble parler plus qu’il ne chante, avec un raffinement sans pathos ; et enfin la logorrhée fastueuse de l’Allegro, qui n’est pas démonstration de force mais tirade d’une grande subtilité, avec un orchestre qui en boit les paroles et ne se déploie totalement que dans les tutti en l’absence du violoncelle solo.
Bloch glose
Après Haydn, l’œuvre From Jewish life d’Ernest Bloch – dans l’arrangement pour orchestre de Christopher Palmer –, résonne soudain comme une faille spatio-temporelle, quittant le siècle des Lumières pour des temps immémoriaux. Car il y a quelque chose de parfaitement achronique dans cette musique ; non pas de désincarné – le jeu de Steven Isserlis est bien trop vibrant et intense pour cela. Mais Bloch semble poser, dans le troisième mouvement, une grande question, comme si le soliste, par son simple chant, rendait intelligible une éternité d’interrogations et de doutes.
Il fallait bien tout le lyrisme de Steven Isserlis et toute la douceur et l’écoute de Gábor Takács-Nagy pour porter cette voix, avant l’original Chonguri de Sulkhan Tsintsadze qui, en guise de bis, réinjecte au Théâtre des Champs Elysées un peu de l’élan vital qui s’était perdu.
Beethoven expose
Nul besoin de présenter la Symphonie n°6 de Beethoven, qui contient dans son sous-titre « Pastorale » tout un monde. Une œuvre mimétique que Gábor Takács-Nagy et l’Orchestre de chambre de Paris se plaisent à dépeindre avec un sens certain du premier degré : loin des interprétations romantiques, qui envisagent la symphonie comme un vaste paysage intérieur, les musiciens assument pleinement son caractère populaire, terrien. D’entrée de jeu, les pupitres de vents et les pupitres de cordes dialoguent, puis s’invectivent, avant de carrément parler en même temps. C’est joyeux, sans affectation, et l’on garde tout au long de l’œuvre cette démarcation très nette entre cordes et vents : cela ne signifie pas que l’ensemble manque d’homogénéité, mais qu’il y a quelque chose de très didactique dans cette lecture, chaque pupitre exposant clairement une idée, un thème ou une image.
Après un troisième mouvement qui séduit par l’amplitude de ses nuances arrive un orage rendu tonitruant par les grondements des contrebasses et le son assourdissant du piccolo. Et le finale convainc une fois encore de la qualité des pupitres de vents, et en premier lieu des clarinette et hautbois solo qui font preuve d’une expressivité et d’une pureté du son tout à fait remarquables, s’interpelant et se répondant au fil de la partition.
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Une belle manière de clore un programme dense et « bavard », mais où Gábor Takács-Nagy, avec sa joie, son souffle et son enthousiasme, loin de brasser du vent, avait de bien belles choses à nous raconter.