AccueilA la UneNaples à Versailles : Robbins en pas de deux fois trois

Naples à Versailles : Robbins en pas de deux fois trois

DANSE – Pour sa première à l’Opéra Royal de Versailles, le Ballet du Théâtre San Carlo de Naples nous propose un très beau programme consacré au génialissime chorégraphe américain : Jerome Robbins (entré dans la légende avec West Side Story).

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La troupe italienne réussit à s’approprier avec justesse l’héritage de Robbins en nous offrant une méditation sur les différentes facettes de l’amour à travers trois pièces majeures de son répertoire : de la légèreté d’une rencontre estivale (En sol de 1975 sur la musique de Ravel) aux différentes étapes d’une relation amoureuse (In the Night de 1970 sur des Nocturnes de Chopin) en passant par les méandres du narcissisme (Afternoon of a Faun de 1953 sur la fameuse pièce de Debussy). 

Le Ballet du Théâtre San Carlo de Naples, fondé avec l’auguste institution en 1737, s’est imposé comme l’une des compagnies les plus prestigieuses d’Italie avec le ballet de La Scala à Milan et le ballet de l’Opéra de Rome. Sous la direction de Clotilde Vayer depuis 2021 (ancienne danseuse de l’Opéra de Paris), la troupe connaît un renouveau artistique et se produit pour la première fois en France, dans son écrin le plus merveilleux : l’Opéra Royal de Versailles.

In the Night – L’amour en trois étapes  

In the night dépeint trois étapes d’une relation amoureuse à travers trois couples : l’amour naissant, la stabilité et la passion. Un concept simple mais efficace qui nous donne un mode d’emploi des relations amoureuses. En tenue couleur azur, Giorgia Pasini et Salvatore Manzo incarnent avec fraîcheur les plaisirs des premiers émois amoureux. Leurs pas, parfois hésitants, capturent la fragilité de ces premiers instants qu’il faut savourer car tout reste à écrire. La lenteur assumée dans la chorégraphie fait écho à ces moments suspendus des émois balbutiants. Dans leurs costumes aux teintes automnales, Martina Affaticato et Stanislao Capissi explorent ce moment charnière où la passion atteint son sommet et où tout peut basculer. Un pas de deux assez technique qui requiert une interprétation exigeante. Mais c’est le duo écarlate de Vittoria Bruno et Alessandro Staiano qui nous offre la performance la plus intense : la vie d’un couple en pleine tourmente entre désir charnel et confrontation violente. On aurait certes pu pousser encore plus loin l’intensité des cambrés et la violence de la rupture, mais la tension est bien là. Le ballet culmine avec un sextuor réunissant les trois couples qui s’observent. Chacun semble se voir dans le miroir des autres et on comprend qu’il suffirait d’une étincelle pour qu’à tout instant, un couple vole en éclats.

© Luciano Romano
Afternoon of a Faun – s’aimer soi avant l’autre 

S’inspirant librement du poème de Mallarmé, qui évoque les fantasmes d’un faune sur une rencontre idéalisée avec une nymphe, Afternoon of a Faun transpose l’histoire dans l’univers familier d’un studio de danse. Ce ballet explore la frontière entre désir et narcissisme et entre rencontre rêvée et réalité. Dans le rôle du danseur beau gosse, Emanuele Torre captive par sa présence magnétique, totalement absorbé par son reflet dans le miroir du studio. Son moment de contemplation est interrompu par Karina Samoylenko, nymphe moderne aux allures de Chiara Ferragni, incarnant magistralement cette femme blonde filiforme puissante. Bref ce stéréotype de fille à qui l’on souhaiterait ressembler. La magie de cette chorégraphie réside dans sa façon de traduire un paradoxe fascinant : alors que deux êtres pourraient vivre une jolie rencontre, ils restent prisonniers de leur propre image, plus captivés par leurs reflets dans leur miroir que par la présence de l’autre. Leur pas de deux mêlant grâce éthérée et sensualité glaciale devient une méditation troublante sur l’amour à l’ère d’une société de plus en plus narcissique. Robbins, précurseur, nous pose cette question essentielle : faut-il forcément s’aimer soi-même pour s’ouvrir à l’amour de l’autre ? 

En sol – l’amour à la plage 

Clôturant magistralement la soirée, En Sol nous plonge dans l’atmosphère insouciante d’une station balnéaire d’autrefois. Sur le Concerto en sol de Ravel aux accents jazzy, Robbins nous offre une parenthèse estivale où la narration tient en une ligne : une rencontre amoureuse sur une plage. Le décor, épuré avec une toile bleue en fond de scène, plante le cadre idéal d’une romance d’été qui ne dure généralement que le temps des vacances. Les costumes rayés des danseurs, rappelant ces tenues de plage rétro, ajoutent une touche de nostalgie. Dans les rôles principaux, Claudia D’Antonio et Danilo Notaro incarnent avec brio ce couple que le hasard réunit sur le sable chaud. On aurait souhaité un soupçon de sensualité en plus dans leur jeu de séduction fait de frôlements délicats et de regards furtifs avant que l’irruption joyeuse d’une bande délurée ne vienne interrompre leur tête-à-tête. La chorégraphie alterne entre tours virtuoses et sauts aériens, créant une sensation de légèreté qui fait écho aux notes jazzy de Ravel. Une pause estivale si convaincante qu’en sortant, on n’a qu’une envie : fuir la grisaille hivernale parisienne et acheter des billets pour les îles d’outre-mer.

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