COMPTE-RENDU – Sir Antonio Pappano se fait le présentateur du concert qu’il dirige à la Philharmonie de Paris. Ne manquent plus que les caméras et une diffusion en direct à la télévision, pour porter sur les ondes ce grand voyage musical classique-jazz XXe siècle.
Sir Antonio Pappano présents… tel aurait pu être le titre non seulement de ce concert mais d’une émission télé qui serait diffusée sur une grande chaîne à une heure de grande écoute (on peut rêver… ah d’ailleurs pourquoi pas sur le même créneau que « Faut pas rêver »).
Leonard Bernstein avait bien sa place sur la chaîne américaine CBS, pour des émissions devenues légendaires ! Et le maestro Pappano excelle lui aussi dans l’art de présenter les pièces du programme, avant de les diriger. Le maestro britannique d’origine italienne (pour lequel auraient dû se battre aussi bien la BBC que La Cinq de Berlusconi) est un habitué (et un habité) de l’exercice (les abonnés à la chaîne YouTube -TV moderne- du Royal Opera House de Londres ont eu comme nous sans doute le plaisir on-ne-peut-moins-coupable de binger ses présentations d’opéras). Ces présentations sont déjà empreintes de la passion musicale du chef voire de sa gestuelle, comme sa direction reste aussi claire qu’une explication orale… et en (excellent) français dans le texte (ou plutôt sans texte : sans notes autres que musicales), s’il vous plaît !
C’est ainsi qu’il entre, micro en main (sans lui faire faire un salto à la Philippe Risoli certes, mais pour mieux partager un million d’informations passionnantes ou pas loin), pour plonger le public dans l’ambiance des night clubs de Londres ou de Harlem, dans l’univers du jazz et de la danse qui font le lien entre les œuvres au programme et leur inspiration.
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Digne des Young People’s Concerts de Bernstein (qui est d’ailleurs et justement au programme comme compositeur, avec Milhaud, Ravel, Gershwin), Pappano traverse la Manche et l’Atlantique dans ses explications des liens entre classique et jazz, comme il détaille l’instrumentarium au plateau, expliquant la présence d’une batterie, celle d’un saxophone à la place de l’alto dans le quintette à cordes, etc.
APPLAUSE
Cette présentation est très applaudie (et nul besoin de chauffeur de salle), sa direction le sera aussi, pour sa clarté, sa vigueur, cette souplesse rigoureuse : quand il dirige, Pappano raconte encore, toujours. Il raconte et invite chaque musicien, chaque pupitre, comme l’ensemble de la phalange à raconter. Malheureusement le Chamber Orchestra of Europe réunissant des solistes de phalanges éparpillées sur le vieux continent, il leur est difficile d’avoir un même ton de narration, de s’accorder dans un même univers (peut-être ont-ils justement trop de choses différentes à se raconter en tout cas ils ne sont pas sur la même grille des programmes). À l’image de l’Europe justement, ils peinent à trouver une voix commune, un rythme synchronisé, de mêmes élans et accents, d’autant qu’ils sont loin du format chambriste.
Ne zappez pas !
Le fil rouge se trouve donc d’autant plus incarné par le lien entre Antonio Pappano et Bertrand Chamayou, d’autant que celui-ci (remercié par le chef pour son dévouement) joue sur les quatre morceaux au programme, qu’il en soit donc le soliste concertiste ou presque traité comme un des instruments de l’orchestre. Certes, avec Chamayou martelant si intensément, précisément, rigoureusement et vigoureusement son clavier, le piano est encore moins un instrument comme un autre. Les deux hommes s’amusent, swinguent et rebondissent sur ces rythmes, et à force de précision chaloupée, d’intensité dynamique, ils finissent par entraîner tout l’orchestre dans des élans cuivrés, pour traverser enfin les océans stylistiques : comme si le vieux poste de TV passait finalement à la couleur.
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Demandez le programme !
D. Milhaud – La Création du Monde
M. Ravel – Concerto pour piano en sol majeur
G. Gershwin – I Got Rhythm – Variations pour piano et orchestre
L. Bernstein – Fancy Free