CONCERT – Ce concert/spectacle autour du Pierrot Lunaire de Schonberg se déroulait au sein de l’Auditorium Michel Laclotte du Musée du Louvre en déclinaison de l’exposition consacrée à Watteau et à son fameux Pierrot, dit le Gilles, qui a pris un coup de jeune après sa restauration !
Violoniste virtuose, chanteuse, compositrice sous le pseudo de « PatKop », coordinatrice de musiciens, Patricia Kopatchinskaja n’arrête pas de nous surprendre par la diversité de ses approches et par son appétit infini de musique. Depuis plusieurs années, une tendinite l’a amené à limiter sans l’abandonner sa carrière de violoniste soliste. Passionnée par la seconde école de vienne, elle s’est lancée dans l’apprentissage du Sprechgesang (parlé-chanté) cher à Arnold Schönberg, sorte de fusion entre la déclamation dramatique et la chanson de cabaret.
Un Pierrot… lunaire
Le cycle du Pierrot Lunaire, partagé en « trois fois sept » comme le formulait le compositeur lui-même, représente le nec plus ultra de cette approche spécifique par ses redoutables exigences vocales. Pour l’interpréter à la scène, Patricia Kopatchinskaja a choisi d’habiter à sa façon le personnage singulier de Pierrot et d’en revêtir l’habit. De fait, ce spectacle/concert déjà présenté en scène sous une formulation assez proche comme au Festival d’Aix-en-Provence en 2021, peut intiment surprendre sinon excéder (plusieurs spectateurs de l’Auditorium ont quitté la salle durant son exécution). Sur scène, comme si un vent de folie l’avait préalablement balayé avec ces meubles renversés, ces partitions démembrées ou déchirées, ces morceaux de tissus découpés descendant des cintres, Patricia Kopatchinskaja promène sa figure de clown et de Pierrot perturbé avec une frénésie voir un investissement à la limite de l’entendement.
Astro-notes
Le Pierrot Lunaire est donné en trois parties détachées et ponctuées par d’autres musiques. Patkop elle-même retrouve son violon pour une de ses propres compositions de 2022, FlügelnWund pour violon et huit haut-parleurs. D’une difficulté rare, ce morceau permet de retrouver la violoniste au sommet de son art. Un extrait d’une seconde composition de 2020, Ghiribizzi, permet de retrouver à ses côtés, le magnétique violoncelliste autrichien Thomas Kaufmann. D’autres morceaux viennent s’insérer dans la démarche globale comme un Presto de Carl Philipp Emanuel Bach arrangé par Patkop, le Lied pour clarinette seule de Luciano Berio interprété de façon souveraine par le suisse Reto Bieri et Jeu pour violon et clarinette extrait de la Suite op. 157b de Darius Milhaud. Aux musiciens déjà cités, viennent se joindre pour Schoenberg le pianiste Joonas Ahonen, la violoniste et altiste Meesun Hong Coleman ainsi que la flutiste et joueuse de piccolo Julia Gallego, tous fidèles de l’interprète principale.
Good Kop, bad Kop
L’approche du Pierrot Lunaire par Patricia Kopatchinskaja est volontairement démesurée, effrayante même, à la manière du personnage lui-même qui semble comme sorti tout droit d’une toile énigmatique de James Ensor. La cantatrice parcourt avec avidité toutes les facettes du Pierrot avec ses noirceurs, ses amours désespérés, ses blasphèmes. La voix apparaît claire et incisive, avec l’utilisation intercalaires d’onomatopées intrigantes et d’une langue incompréhensible. Elle ose l’utilisation de sonorités rauques, l’expressivité la plus provocante, le raclement de gorge, renforçant encore plus son interprétation au fur et à mesure.
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Cette avidité à toute épreuve finit par fasciner et porte la marque d’une interprète totalement à part sur la scène musicale, ici parfaitement soutenue par ses musiciens fidèles. Le public comme envouté a réservé une ovation à ce concert/spectacle qui décidément sort des sentiers battus.