Kenny Barron : la leçon de piano

JAZZ – Kenny Barron, c’est la connexion avec Dizzy Gillespie, Ornette Coleman et Chet Baker : autant de collaboration prestigieuses qui placent son héritage dans la légende du XXème siècle. Dans un festival « classique » comme L’Esprit du piano à Bordeaux, son concert académique et virtuose installe le jazz au panthéon de la musique d’hier qui renaît de sa longue tradition.

1924-2024. Cette année, la Rhapsody in blue de George Gershwin a 100 ans. De quoi voir passer quelques générations de jazzmen engouffrés dans une brèche ouverte qui allait, en quelques années, faire passer leur musique des gangsters clubs enfumés au faste des salles de concerts, et leur public huppé. De Harlem à l’Upper East side. Du Cotton Club au Carnegie Hall.

Jazz de salon

100 ans – De quoi aussi installer des recettes qui marchent, des manières d’organiser un set qui, au fil du temps sont passées du statut d’habitudes pratiques à celui de rites immuables. De la nouveauté bouillonnante à l’académisme ronronnant. Un phénomène qu’on retrouve un peu partout dans l’Histoire de la musique, et qu’on peut comparer à ce qui s’est joué au milieu du XVIIIème siècle en Autriche, quand Haydn et ses salons de musique ont gravé dans la roche un genre qui allait survivre à son époque : le quatuor à cordes.

Piano, contrebasse, batterie – La « section rythmique », c’est un peu l’équivalent jazz du quatuor à cordes : une formation qui dessine dans un triangle dynamique les composantes essentielles de la musique, offrant un terrain de jeu clair et impeccablement circonscrit au public, qui n’a plus qu’à ouvrir ses oreilles en grand pour profiter du match.

Le baron « Kenny »

De ce tableau noir de pure école, Kenny Baron est un maître incontesté qui dispense ses leçons chorus après chorus, dans une alternance immuable laissant à sa virtuosité tout le confort nécessaire. Le schéma de jeu est simple : on expose le standard une fois, on développe le discours au piano, on baisse d’un cran pour le solo de contrebasse, et on lance les 4×4 à la batterie tonitruante, avant de conclure dans un retour du thème qui n’a plus qu’à ralentir le tempo dans les dernières secondes, pour un atterrissage tout en douceur. Un coup de micro pour annoncer le morceau suivant, et c’est reparti pour un tour ! Une heure et demie égrenée avec la précision d’un coucou suisse.

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Un concert de jazz académique, c’est aussi une alternance de standards et de nouveauté, de créations et d’hommages aux géants que Kenny Baron a connus, parfois personnellement. La connexion avec Duke Ellington et Billy Strayhorn (Lush Life, 1936), la référence à Cole Porter (Love for Sale, 1930) ou For Heaven’s sake (1946) : tout le jazz de Grand-Papa y passe, et on se prend à penser que, dans ce temple du grand répertoire qu’est l’Auditorium de Bordeaux, qui voit renaître à longueur de saison la musique du passé au moment du jour, ce concert n’a pas à rougir.

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