DISQUE – Nouvelle version du chef d’œuvre intemporel d’Offenbach, telle que l’aurait rêvée le petit Mozart des Champs-Élysées. Que l’on soit convaincu ou non par la nouvelle proposition, pétillement garanti pour les fêtes de fin d’année.
Excellente idée que celle de la Fondation Palazzetto Bru Zane de proposer dans sa superbe série de livres-disques consacrés aux ouvrages français oubliés du XIXème siècle, un album consacré à la version originale de La Vie parisienne d’Offenbach. Les amateurs de spectacle vivant retrouveront ici la bande-son de la mise en scène de Christian Lacroix, telle qu’elle a été vue ces trois dernières années à Rouen, Tours, Paris, Liège, Limoges et Montpellier.
Version originale, vraiment ? Pas tout à fait, en réalité, car en raison des insuffisances vocales des acteurs du théâtre du Palais-Royal, où la pièce fut créée le 31 octobre 1866, Offenbach avait été contraint de revoir considérablement à la baisse les exigences vocales qu’il pouvait avoir vis-à-vis de ses principaux interprètes, d’excellents acteurs mais en rien des chanteurs confirmés. À la fin des années 1950, la compagnie Renaud-Barrault avait montré que l’ouvrage d’Offenbach pouvait très bien être monté avec de simples acteurs. La version proposée sur le présent CD est donc plutôt une version que l’on pourrait qualifier d’idéale ou de pré-originale, telle qu’Offenbach l’aurait rêvée indépendamment des contingences liées aux circonstances de la création.
VO : Vraiment Originale ?
Évidemment, la version idéale, telle qu’Offenbach l’avait en tête, n’ayant jamais été créée, c’est avant tout à une reconstitution que se sont livrées les équipes du Palazzetto Bru Zane. Certaines orchestrations ont été complétées pour les besoins de l’enregistrement, et certains morceaux laissés par Offenbach à l’état d’ébauche ont été achevés pour la circonstance. Cela pourra expliquer qu’on entende dans les pages orchestrales faisant fonction d’entracte des motifs qui n’existaient pas encore en 1866, et que le compositeur devait introduire pour des versions ultérieures. Nul ne s’en plaindra.
Ce qu’on y perd
Les auditeurs familiers de la version de 1873 pourront peut-être regretter la disparition de quelques pages devenues de grands classiques, comme par exemple le quatuor Bobinet/Gontran/Gardefeu/Métella au début de l’acte 1 ou la célèbre tyrolienne de Gabrielle à l’acte 2. On pourra penser aussi que la version définitive en quatre actes présente davantage de cohésion et d’unité, la version « pré-originale » en cinq actes se perdant un peu dans une intrigue qui peine à se conclure, avec des dialogues souvent longs et confus, confiés de surcroît à des chanteurs qui n’ont pas tous l’art de dire et de faire vivre un texte parlé. Les interventions de Mme de Quimper-Karadec et de sa nièce Mme de Folle-Verdure, ainsi, tombent quelque peu à plat, en tout cas au disque.
Ce qu’on y gagne
On appréciera en revanche les références, à l’acte 5, à Don Giovanni, renvois plutôt originaux et parfaitement pertinents pour un ouvrage de celui qu’on appelait le petit Mozart des Champs-Élysées et qui préfigurent les citations du même opéra que l’on trouvera plus tard dans Les Contes d’Hoffmann. On trouvera par ailleurs dans cette nouvelle version moult pages inédites, comme par exemple le quatuor de « Jean le cocher », le fabliau chanté par la Baronne à l’acte IV ou encore l’ensemble « Ô ma tête », aux échos rossiniens tout à fait exquis.
Une interprétation proche de l’idéal
On pourra s’amuser à comparer cette nouvelle version discographique à celle gravée il y a près d’un demi-siècle par le même orchestre et le même chœur toulousains, ceux du Capitole de Toulouse. Michel Plasson y livrait une lecture particulièrement opératique, soucieuse de mettre en avant la savante architecture orchestrale des grands ensembles composant l’ouvrage.
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L’interprétation de Romain Dumas, nourrie de l’expérience de la scène, est davantage marquée par le pétillement qui nourrit la plupart des morceaux, au détriment peut-être de la grandeur de la conception d’ensemble. Tout comme pour la précédente version, on retrouve dans la distribution tout ce que le chant lyrique français propose de mieux aujourd’hui.
- Véronique Gens prête ainsi le velours de son legato aux deux airs de Métella, le soprano délicieusement acidulé d’Anne-Catherine Gillet servant au rôle plus piquant de Gabrielle la gantière.
- Belle découverte que la Pauline pimpante d’Elena Galitskaya, Sandrine Buendia révélant quant à elle pour la partie de la Baronne de Gondremarck un soprano richement vibré, ainsi qu’un réel talent de diseuse.
- Prestations de grande classe du côté des messieurs, avec le Bobinet plein de gouaille de Marc Mauillon, le Gardefeu classieux d’Artavazd Sargsyan et le Baron plein de verve de Jérôme Boutillier.
- Chargés chacun de plusieurs rôles, et non des moindres, Pierre Derhet, Philippe Estèphe et Carl Ghazarossian complètent une distribution de haut vol, à laquelle on pourra ajouter dans divers rôles féminins les noms de Louise Pingeot, Marie Kalinine, Marie Gautrot et Caroline Meng.
Une réussite d’ensemble avant tout, maturée par l’expérience de la scène dans différents théâtres de l’hexagone, à laquelle l’enregistrement CD apporte une consécration toute méritée.