Résurrection : Mahler aux vivants

SYMPHO-LYRIQUE – Mise en scène par Romeo Castellucci, la Symphonie n°2 « Résurrection » de Gustav Mahler se transforme en une expérience théâtrale bouleversante. Il nous propose un « chant de la terre » funèbre qui confronte le spectateur à la mort : déterrer des cadavres d’une fosse commune. L’expérience scénique est si puissante qu’elle laisse une empreinte indélébile sur le public de la Grande Halle de la Villette.  

Résurrection fait son grand retour à la Villette, après avoir créé la surprise au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence en 2022. On peut dire que le metteur en scène et plasticien italien Roméo Castellucci, vrai Géo Trouvetou de l’opéra a été inspiré par la symphonie n°2 de Gustav Mahler, une œuvre captivante et particulièrement macabre.

Retour en grandes pompes 

Composée entre 1888 et 1894, cette symphonie a initialement décontenancé le monde musical. Le chef d’orchestre Hans von Bülow, contemporain de Mahler, la jugeait totalement incompréhensible. Ironiquement, c’est lors des obsèques de ce même Bülow, que Mahler trouva l’inspiration pour finaliser son chef d’œuvre. 

Castellucci relève le défi de mettre en scène une partition « conçue pour être écoutée les yeux fermés ». Il crée une installation scénique glaçante qui amplifie la puissance émotionnelle de la musique pour imprimer durablement son tableau macabre dans la rétine et la mémoire des spectateurs. 

Un cheval blanc avant la découverte d’un charnier 

Le spectacle s’ouvre sur une image puissante : un magnifique cheval blanc tel une licorne s’élance sur le lande déserte couverte de terre. Sa maîtresse tente de le récupérer quand elle découvre un bras émergeant du sol. S’ensuit alors une histoire macabre, car le bras cache en réalité un charnier tout entier, une fosse commune.

© Monika Ritterhaus

Une équipe de l’UNHCR (l’agence des Nations-Unies pour les réfugiés), interprétée par des acteurs et des figurants masqués, en combinaisons blanches investit l’espace. Équipés de trois fourgonnettes et d’une pelleteuse rouge, ils déterrent les corps d’une communauté entièrement décimée. Chaque cadavre – enfants, adultes, personnes âgées – est extirpé de sous la terre, puis minutieusement transporté et déposé sur des linceuls blancs avant d’être zippés puis retransportés dans une fourgonnette. Castellucci raconte qu’il s’est inspiré du travail essentiel des ONG qui œuvrent à la « résurrection » des identités après des massacres. Les véritables protagonistes ne sont pas les cadavres mais ces bénévoles qui fouillent la terre avec des « gestes que l’on retrouve dans l’iconographie chrétienne ». 

Une interprétation qui claque 

Sous la baguette d’Esa-Pekka Salonen, l’Orchestre de Paris et son chœur nous offrent une interprétation intense et cinglante de la symphonie de Mahler, malgré les limites acoustiques du lieu. Qu’importe, la tension est là, bien palpable. La partition de Mahler prend une dimension particulièrement poignante, alternant entre des moments de violence glaçante et des passages d’une grande délicatesse. La soliste Marie-Andrée Bouchard Lesieur à la voix capable de faire pleurer à chacune de ses inflexions, atteint des sommets d’émotion avec son « Urlicht ». La soprano Julie Roset insuffle une profondeur émotionnelle remarquable dans « Im Tempo des Scherzo ». Se dégage de cette orchestration une tension unique, une beauté presque métaphysique qui dépasse la simple exécution technique pour devenir une véritable expérience spirituelle. Est-ce dû au choc des images qui nous ramène à notre condition ?

© Monika Ritterhaus
Un final grandiose

Alors que le chœur entonne le célèbre final : « Je mourrai pour vivre ! Tu ressusciteras », la scène se vide, baignée d’une lumière presque divine. Les derniers moments sont d’une intensité poignante : les corps sont chargés dans les fourgonnettes blanches tandis qu’une femme seule continue de creuser une terre à présent vide, comme s’il était impossible pour elle de faire son deuil, jusqu’à ce que la musique la persuade d’abandonner ce monde de morts. Survient alors une pluie diluvienne, métaphore purificatrice, lavant symboliquement la terre et les fantômes de toute cette communauté décimée. 

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Castellucci réussit un tour de force : transformer une symphonie en une expérience théâtrale saisissante, qui confronte le public à la mort tout en célébrant la possibilité du renouveau. On en ressort bouleversée, sachant que l’on n’écoutera plus jamais Mahler de la même façon. Une chose est sûre : on ne sort pas indemne de cette création qui fait dialoguer musique, corps et mémoire. 

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