AIX-EN-PROVENCE – Le festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence s’ouvre avec de détonnantes Noces de Figaro, mises en scène par Lotte de Beer. Cette production qui fait déjà sensation sera retransmise en léger différé, ce vendredi 9 juillet sur Arte. Retour sur un spectacle à voir absolument.
Beaucoup de questions et une irrépressible envie de rire après de longs mois cafardeux. Les Noces de Figaro version Aix-en-Provence 2021 au théâtre de l’Archevêché sonnent le retour en force des ces productions que nous attendons tous les ans. Nous savons qu’elles ne laissent aucun spectateur ni aucun commentateur sans réaction face à leurs prises de position franches.
Après un Requiem de Mozart mis en scène par Roméo Castellucci avec Raphaël Pichon et l’ensemble Pygmalion en 2019, c’est un autre monument du grand Wolfgang que la metteure en scène néerlandaise Lotte de Beer soumet au public aixois.
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À l’heure #MeToo
Un parfum de scandale règne autour de cette production depuis sa première, le 30 juin. Et on comprend aisément pourquoi. Le sujet des Noces peut difficilement être mis en scène aujourd’hui sans résonner immédiatement avec le mouvement #MeToo et donc, sans provoquer dans le public un accueil divisé.
Entre ceux, chastes oreilles qui ne sont pas fans de voir une troupe de phallus se promener sur scène (oui oui !) et les amateurs de bon goût qui ne souffrent pas l‘excès, les réactions clivantes des spectateurs en sortie de spectacle sont un vrai régal… Car c’est bien la mise en scène qu’il est intéressant de commenter, d’abord.
Enchaînement de gags
Deux idées co-existent dans ce spectacle, deux jambes qui le tiennent debout sans boiter : l’humour de grands boulevards et la satire. Dans l’histoire de l’opéra, les deux ont bien des fois fait front commun pour se moquer des puissants ou dénoncer une situation injuste. Appliquée à la dénonciation de la violence sexuelle, la finesse de Lotte de Beer fait mouche dans la plupart des cas.
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Ici, l’inertie de la mise en scène est ainsi faite qu’on peut se trouver, parce que les gags s’enchaînent comme dans une sitcom, à rire devant la représentation très explicite d’un viol. Celui du grand méchant loup, le Comte Almaviva, sur une pom-pom girl anonyme (on apprend plus tard qu’il s’agit de Barbarina), mineure.
Aveuglement collectif
On entend dire à l’entracte que le spectacle est globalement agréable, peut-être parfois un peu lourd, mais on ose avouer à son voisin la faute dont on s’est rendu coupable en ne voyant pas tout de suite le geste violent dans l’euphorie de la pantalonnade. C’est là toute la malice de Lotte de Beer : elle ne dénonce pas seulement l’assaut du comte, mais l’aveuglement collectif d’une société trop occupée à rire de tout.
Lotte de Beer ne dénonce pas seulement l’assaut du comte Almaviva, mais l’aveuglement collectif d’une société trop occupée à rire de tout.
Dépoussiérer le genre
Côté musique, le Balthazar Neumann Ensemble conduit les trois heures de cette folle journée avec un courage et une fougue parfois débordante, mais a le grand mérite de dépoussiérer le genre. Il est bon de voir des spectacles à leur troisième ou quatrième représentation, car nous profitons du meilleur de l’union entre la scène et la fosse d’orchestre.
Ce que la presse a pour habitude de voir, et donc de juger, n’est bien souvent pour les artistes que stress de la première, angoisse de la fausse note, crainte du décalage. Or, la musique de Mozart plus que chez tout autre compositeur, discute en permanence avec la scène. Elle commente, souligne, réagit.
Grâce à l’orchestre, nous sommes en direct avec le cerveau, le cœur et l’âme des personnages, et techniquement, une telle symbiose ne s’obtient pas dans les quelques jours de répétition qui précèdent la première. Elle est la fille de l’habitude et du confort des artistes.
La musique de Mozart, plus que chez tout autre compositeur, discute en permanence avec la scène.
Arte, qui retransmet la représentation du 9 juillet, a préféré sacrifier à l’actualité la qualité du travail monumental réalisé par ce qui reste, même dans le monde très autocentré de l’opéra, une troupe. Une troupe de chanteurs lyriques à qui on demande beaucoup dans ce spectacle, parfois au détriment de la musique. Mais devant la réaction hilare de la salle dans les deux premiers actes, on comprend que ces Noces ont de beaux jours devant elles. L’opéra moderne dans toute sa splendeur…